Le bénévolat, ce don de soi « désintéressé », est de plus en plus promu par les organisations nationales et internationales pour impulser le développement local. Ce modèle d’engagement citoyen est capital pour le développement personnel et professionnel de la jeunesse. Dans ce billet, je partage mon histoire de bénévole, de l’enfance à aujourd’hui, tout en évoquant certaines expériences acquises plus d’une dizaine d’années après.
Avant d’embrayer, je voudrais préciser que le volontariat se démarque principalement du bénévolat par l’existence d’un engagement réciproque et formalisé avec une potentielle rétribution du service. Le bénévolat par contre n’est encadré par aucun statut juridique, c’est un engagement totalement libre, sans contrepartie et sans rémunération obligatoire.
Le bénévolat durant mon enfance : Cédric Express, l’enfant du quartier
Je pratique « inconsciemment » le bénévolat depuis mon enfance. Les mères du quartier m’appelaient tous « mon fils » et d’autres « Christian Express », à cause de ma constante et avenante disposition à leur rendre service. Certaines m’envoyaient leur faire des courses au marché, acheter du piment, du bois, du sel, du riz, de l’huile de palme, du savon (CCC à l’époque…) ou tout complément nécessaire à l’exercice de leur tâches ménagères. D’autres m’envoyaient aussi « écraser les condiments » ou aliments pour la cuisson. De toutes les taches qu’on pouvait me confier, celle-ci était ma préférée, car comme tous les enfants de mon âge, il était très difficile d’aller écraser sans « goûter ». Surtout les arachides grillées dont tous les enfants raffolaient. Néanmoins, j’étais moins gourmand que mes compères, au retour, le rendu était parfois raisonnable ou proportionnel.
Ce que les mamans appréciaient le plus, c’était mon attitude. En effet, peu importe la nature de la tache, du moment que je consentais, je l’effectuais toujours avec plaisir. Il m’arrivait ainsi de jouer la nounou sans pour autant m’irriter lorsque le bébé pleurait. Ou de ne point attendre obligatoirement de « motivation » financière après la réalisation d’une tache. En effet, la majorité des enfants de 7 ou 10 ans étaient de bons petits capitalistes : ils ne levaient pas le doigt ni ne bougeaient l’orteil quand ils n’avaient aucune promesse de rétribution. Par exemple, si tu l’envoies acheter la « 33 », une bière 100% locale, qui coûtait 450 FCFA jadis, il fallait lui donner au moins 500 FCFA. Sinon…
Et nous avions l’habitude de noter les « bons clients » c’est-à-dire, les tontons ou tantines qui « motivaient » bien. Quand ton registre était rouge, nous te blacklistons. Et c’était un véritable challenge, pour certaines mamans, de trouver un enfant qui accepte faire sa commission lorsqu’elle était sur la « liste noire ». Or, j’étais le seul qui n’avait point de liste noire. Il m’a toujours été difficile de dire « non » et j’éprouvais toujours ce désir irrépressible de me rendre utile. Un sourire de satisfaction intérieur m’animait toujours quand je rendais service. Vous comprenez donc pourquoi j’étais l’enfant chouchou des mamans du quartier, leur « Cédric Express ».
Bénévole désinvolte à l’adolescence
Mon adolescence correspond à mes études secondaires. J’étais devenu moins servile. Entrainé par mes amis, je me livrais avec joie et consentement aux pratiques de délinquance juvénile : fréquentation très régulière des salles d’arcades, esprit rebelle, vagabondage scolaire, premiers flirts avec les filles… Les seules actions communautaires que j’ai réalisées ici étaient sous la contrainte. A l’époque médaillé d’or du retard, j’étais toujours assigné aux tâches punitives et correctives comme le nettoyage des salles de classe ou du jardinage amateur…
Le volontariat à l’université : réconciliation et maturation
Pour échapper à l’emprise, un peu négative, de certains amis, sur mes études, je prends la décision de me réfugier à Dschang afin d’appliquer plus d’engagement et de sérieux. Cette ville sera un terrain d’expérimentation et de maturation de l’esprit bénévole qui sommeillait toujours en moi. L’université est une expérience inoubliable pour tout individu car on y jouit de plus de liberté. C’est un laboratoire de la vie qui assagit. Je vais y fonder trois organisations œuvrant sur la justice sociale, l’accès à une éducation de qualité (Apprendre Pour Comprendre) et la promotion du bilinguisme (Club Bilingue pour l’Unité Nationale). J’ai ainsi pu impacter positivement des milliers de vie en contribuant financièrement aux frais de scolarité de jeunes défavorisés, fournissant l’accès gratuit à la documentation scientifique, plaidant pour la libération de jeunes mineurs prisonniers…
Inspiré et motivé dans cette dynamique par deux amies, Carole Fopa et Evody Feugué, nous fondons en 2014 une entreprise sociale basée sur le volontariat : Young Social Development Actors. La vision est de rassembler des jeunes, comme nous, qui prennent plaisir à servir la communauté et les rendre acteurs du développement local. Toutes nos activités étaient ainsi financées par les contributions individuelles de chaque membre. Fonctionnant en mode projet, chaque membre apportait, selon sa disponibilité, une contribution matérielle, physique ou financière à la réalisation des différents programmes. Travaillant essentiellement avec les prisons, les orphelinats et les villages, nous avons pu impacter et contribuer au bien-être de centaines de familles.
Le volontariat et moi aujourd’hui
Ce sont mes expériences acquises par le bénévolat et le volontariat qui ont facilité voire propulsé mon insertion professionnelle. Mes principales compétences communicationnelles, relationnelles, organisationnelles et techniques ont été acquises « gratuitement » dans l’exercice de taches bénévoles. Et je m’appuie désormais sur elles pour négocier des contrats payants, qui parfois sont très juteux. J’insiste sur cet aspect bénéfique du bénévolat parce que cette pratique est souvent « méprisée » ou « dévalorisée » par la jeunesse africaine contemporaine, et camerounaise en particulier. Les jeunes s’attendent à – et veulent – être rémunérés pour toute action qu’ils posent. Ils ignorent parfois que le volontariat est un moyen d’investissement à moyen ou long terme vers un emploi rémunéré et une carrière réussie. Ils veulent toujours du « là là là » selon l’expression de l’artiste Lady Ponce.
D’une pratique inconsciente, le volontariat et le bénévolat sont désormais devenus pour moi une pratique consciente, un mode de vie, une manière d’être au monde. Après plus d’une dizaine d’années d’expérience au service désintéressé pour la communauté, j’ai compris qu’on gagne et apprend davantage en servant qu’en se servant. L’expérience montre que chacun reçoit plus qu’il ne donne. Ce qu’il y a de beau, de magique, et de fantastique dans le bénévolat c’est surtout le caractère symbolique de la rétribution. La reconnaissance vaut parfois mieux que toutes les richesses du monde. L’argent et partant, le salaire, annule parfois cette valeur symbolique du service.
Que les fruits de ton action ne soient point ton mobile…
Nous devons apprendre à servir, à appliquer le principe du don de soi, sans attente de retour, simplement le fait de faire ce qu’il y a à faire, pour le plus grand bien de tous, pour la communauté… Se mettre au service et simplement faire ce qui est à faire permet de goûter à la joie pure de donner, sans que ce soit attaché à une gratification personnelle quelconque. En cultivant une attitude de service, nous apprenons à faire de tout travail une offrande au divin. Rendre un service gratuit marque plus le bénéficiaire que s’il vous avait payé. Si vous observez un peu dans votre vie, vous observerez que les personnes qui vous ont marquées sont parfois celles qui vous ont rendu un énorme service sans rien vous demander en retour. Cette philosophie de l’action désintéressée se rapproche du Karma yoga, ou du Seva.
En ce jour de célébration internationale du volontariat et du bénévolat, je ne peux qu’encourager les jeunes, les vieux et toute personne membre d’une communauté, à bien vouloir donner de leur temps, de leur énergie et de leurs talents au service des autres. Vous ne le regretterez jamais ! Au contraire, vous acquérez un sentiment de satisfaction personnelle que personne ne pourra vous voler. Alors soyons tous bénévoles et volontaires.
As-tu déjà été bénévole ou volontaire ? Comment fut l’expérience ? Es-tu à la recherche d’une expérience en tant que volontaire au Cameroun ou à l’international ? Que penses-tu de ma philosophie du service désintéressé ? N’hésite pas à commenter pour enrichir les échanges sur la question !