Dans le précédent article, j’indiquais certaines initiatives francophones – comme le programme MOOCs Afrique – nées pour faciliter et contribuer à la production et promotion de l’éducation numérique, et particulièrement le développement des MOOCs. De pareilles initiatives ont donné naissance à des MOOC collaboratifs portés par des universités ou établissements supérieur africain en partenariat avec des institutions du Nord spécialisées dans le développement/gestion des MOOC.
Ces collaborations entre établissements du Nord et du Sud ont conduit à l’élaboration conjointe de MOOCs suite à la constitution d’équipes pédagogiques mixtes. Par exemple, dans le domaine de la santé, le docteur Ziemlé Clément Méda et le Professeur Ogobara Doumbo Directeur du «Malaria Research and Training Center» au Mali ont contribué au MOOC « Le Paludisme ». Signalons aussi les docteurs Ali Sié et Maurice Yé qui ont intervenus dans le MOOC «Changement climatique santé en contexte africain», et 75% des tournages de ce MOOC ont été réalisés au Burkina Faso. Pour ce qui est du Tourisme, le MOOC «L’écotourisme : Imaginons-le ensemble» est un cours co-construit entre les universités de Jendouba en Tunisie et l’université de Toulouse Jean Jaurès.
Malgré ces initiatives de MOOCs collaboratif, le nombre de MOOCs conçus et produits en Afrique demeure faible par rapport à l’offre mondiale. En 2020, près de 98% des MOOCS existants sont produits hors d’Afrique, majoritairement par des universités publiques ou privées situées aux Etats Unis, en Grande Bretagne, en France, Canada et en Chine.
Le graphique ci-dessous, tiré d’un rapport sur le marché mondial des MOOC, démontre que l’Amérique du Nord détient la part de marché la plus importante; à l’opposé de l’Afrique.
On constate par ailleurs que la situation de l’Afrique en 2021, est mieux comparée à celle qui prévalait en 2013 lorsque Laura Czerniewicz and Uvania Naidoo décriaient, au travers d’une carte, le fait qu’aucune université africaine ne produisait de MOOC, se limitant au rôle de consommateur et non de producteur.
Près d’une décennie plus tard, certains pays africains ont progressé dans l’aventure MOOC. Il s’agit notamment du Maroc, l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie don’t les universités ont produits et diffusés des MOOC.
Bien que le pourcentage de MOOC produits en Afrique et sur l’Afrique est relativement faible, il n’en demeure pas moins que les africains sont assez nombreux parmi les participants de MOOC. Par exemple, en 2018, les nationalités les plus représentées sur la plateforme française FUN étaient le Maroc (2e position), la Côte d’Ivoire (4e), l’Algérie (6e) puis le Cameroun(7è) , le Sénégal (9ème) et la Tunisie(10ième). Et 19 % des 1 643 588 inscrits étaient sur le continent africain (ce dernier chiffre est en augmentation régulière chaque année depuis trois ans).
Cela est un indice de l’attrait de ces formations en ligne pour le public africain, majoritairement constitué d’étudiants désirant développer gratuitement leurs connaissances dans une discipline particulière ou alors de professionnels désirant obtenir des certificats pour élargir les opportunités de carrière. D’après une étude de Coursera, en moyenne 72% des apprenants ayant achevé un MOOC indiquent avoir eu des retombées positives dans leur carrière et 61% ont eu des bénéfices éducatifs.
De prime abord, c’est une « aubaine » pour le public africain de pouvoir s’éduquer et se former « gratuitement » grâce à ces cours à distance librement accessible, certains offrant même des attestations de participation gratuites. Cependant, du point de vue de l’économie des connaissances, cela présente de potentiels « risques », puisque ces MOOCs véhiculent des idées, savoirs et expériences issus d’un modèle pédagogique et de pensée européenne ou nord-américaine ; lequel est parfois en déphasage avec les réalités socioculturelles africaines. Pour limiter donc ces risques et pour une meilleure adaptation des MOOCs aux besoins locaux de développement durable dans le domaine de la formation, des initiatives endogènes de création des MOOCs ont progressivement vues le jour, avec le soutien technique ou financier d’institutions étrangères (Unesco, AUF, ou EPFL etc.)
- L’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI), 1ère plateforme de MOOC d’Afrique subsaharienne
Lancé en 2016, elle rassemble trois universités publiques : l’Université Jean Lorougnon Guédé à Daloa, l’Université Alassane Ouattara à Bouaké et l’Université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan. Il existe 9 cours sur la plateforme, lesquels abordent divers sujets comme le traitement des eaux, la bio-informatique ou les nouveaux médias. Certains nécessitent quelques prérequis. Ouverts à tous et accessibles gratuitement, les contenus ont été conçus par des professeurs ivoiriens et produits localement grâce au studio d’enregistrement construit à cet effet au sein de l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Ils sont hébergés sur une plateforme autonome développée en partenariat avec la plateforme FUN et l’AUF.
- L’Université Mohamed VI
Cette université a développé le cours « Pratiques de Gestion Optimale des Eaux Pluviales » qui présente des techniques innovantes et ancestrales de collecte et gestion des eaux pluviales. L’Université finance également l’initiative « Excellence in Africa » qui contribue à la recherche académique et au développement de ressources pédagogiques numériques et des programmes de formation continue.
- Le projet African Cities Lab
Le projet vise à créer des MOOCS sur le développement urbain en Afrique. La plateforme (toujours en évolution) servira également de forum pour l’échange de ressources éducatives numériques autour de la gouvernance des villes africaines afin de favoriser un développement urbain durable. Hébergée par l’Agence de développement Sèmè City au Bénin et coordonnée par l’EPFL, la plateforme réunira des universités de pointe dans les régions anglophone et francophone :
- L’université du Rwanda
- Université de Carthage in Tunisia,
- Université de Cape Town en Afrique du Sud,
- Mohammed VI Polytechnic University in Morocco,
- Kwame Nkrumah University of Science and Technology (KNUST) au Ghana.
- REAMOOC
Le projet REAMOOC (Réseau africain de développement de MOOC pour l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur), vise, au sein d’établissements universitaires pilotes d’Afrique subsaharienne, à améliorer la qualité des apprentissages des étudiants. Pour ce faire, le projet mise sur l’autonomisation de ces institutions dans le développement de MOOC et leur intégration, dans leurs programmes d’enseignement. En novembre 2019, une mission d’accompagnement pédagogique auprès des institutions sénégalaises partenaires (l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) ; l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) ; l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS) a été dépêchée pour suivre, l’état d’avancement du développement des MOOC.
Une mission similaire a aussi été organisée au Cameroun avec les universités de Douala, Yaoundé 1 et Ngaoundéré. Le REAMOOC a également organisé des colloques sur des thèmes comme: « Produire un MOOC en Afrique subsaharienne : méthodes et enjeux » ou « L’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne : de la stratégie au terrain”.
Signalons aussi que, depuis janvier 2019, 90 apprenants – enseignants-chercheurs et technopédagogues – du Sénégal et du Cameroun apprennent à produire des MOOCs à l’aide d’un cours en ligne privé en petit groupe (SPOC): “MOOC, mode d’emploi”, dans le cadre du projet Erasmus+ REAMOOC. Ce projet européen doit renforcer les innovations pédagogiques dans l’enseignement supérieur africain par l’accompagnement dans la production de MOOC.
- L’initiative MOOC Afrique de France Université Numérique (FUN)
Grâce au partenariat signé entre FUN et l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), les établissements francophones des pays du Sud bénéficient d’un soutien financier pour la production de leurs MOOC et d’un hébergement sur la plateforme FUN. Trois Universités tunisiennes se sont déjà emparées de cette opportunité à savoir les établissements de Sousse, Jendouba et Carthage qui diffusent depuis quelques années.
Un second partenariat entre FUN, l’AUF et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), dans le cadre du projet IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres) a permis la conception de huit cours en ligne à accès restreint (SPOC) destinés la formation des instituteurs sénégalais qui ont été diffusés sur la plateforme FUN Campus.
Performance des universités africaines en fonction des MOOCs développés
MoocLab, un site d’apprentissage en ligne, a publié le tout premier classement mondial sur les performances des universités en ce qui concerne les MOOC. Ce classement évalue les établissements sur la base du nombre de MOOC fournis, de l’offre de parcours d’apprentissage, de microcrédits, de diplômes et du classement mondial moyen de l’établissement. Le classement n’a pris en compte que les universités qui proposent des cours sur les trois principales plateformes MOOC, à savoir : Coursera, edX et FutureLearn. Des 200 universités classées, seules deux sont africaines. Il s’agit des universités du Cap (138e) et de Witwatersrand (172e) ; toutes deux sud-africaines et anglophones.
Le fait qu’aucun MOOC francophone d’une université africaine, témoigne du chemin quantitatif et qualitatif qui reste à parcourir. D’où la nécessité d’investir financièrement, technologiquement et structurellement afin de d’innover et produire davantage de MOOC qualitatifs de l’Afrique vers le monde. Bien que les MOOCs ne soient point une panacée pour les innombrables problèmes de l’éducation mondiale ou africaine, ils constituent un pas dans la bonne direction, en offrant un accès ouvert à une expérience d’apprentissage que beaucoup trouvent bénéfique pour la poursuite de leurs études et de leur carrière.
Enfin, signalons que l’efficacité des MOOCs dépend du contexte éducatif dans lequel ils sont intégrés. Le rapport “Making sense of MOOCs” de l’UNESCO préconise d’ailleurs la mise en place de stratégies nationales de l’enseignement supérieur intégrant les MOOCs. Et le Rwanda s’est doté d’un tel document et a fait un état des lieux des pré-requis nécessaires à la réalisation de ses ambitions via cet outil. Le pays entend dispenser 30% de son enseignement secondaire et 50% de son enseignement supérieur via des formations ouvertes, à distance et en e-learning (ODeL). D’autres pays africains sont encourager à explorer des mesures innovantes pour maximiser les MOOCs dans leur politiques nationales sur l’éducation.