A la découverte de cette harpe-luth qui se prête aux démonstrations de virtuosité avec un son délicat et profond
C’est quoi la « Kora » ?
La kora est un instrument de musique très populaire en Afrique de l’Ouest (Sénégal, Mali, Mauritanie, Gambie, Guinée…). Cet instrument appartient à la famille des harpes à calebasse[1], très présente dans la culture mandingue et est entièrement construit à la main à partir de matériaux naturels. En effet, sa caisse de résonance est une demi calebasse recouverte d’une peau de bœuf et traversée par une hampe. Elle est constituée d’une grosse demi-calebasse de 40 à 60 cm de diamètre, évidée et percée d’un trou puis décorée plus ou moins richement. Elle peut être recouverte d’une peau de vache, de bœuf, de cerf ou de daim, qui sert de table d’harmonie et dont dépend l’ampleur du son. Le manche long d’environ 1 m 20 à 1 m 40 assure la liaison entre les cordes et la calebasse. On en joue debout ou assis, l’instrument devant soi, le manche bien en face, à hauteur des yeux. On l’empoigne des deux mains et on joue avec les doigts (pouces et index) des deux côtés du chevalet, comme pour une harpe.
L’école « Kordaba » de Ablaye Sissoko, la première au Sénégal, offre des cours de formation pour s’initier, se perfectionner ou professionnaliser dans la pratique de cet instrument. Pour lui, « La kora apporte la paix dans le cœur et l’âme des hommes. Elle apaise et adoucit». Pour mieux comprendre cette déclaration, il nous est important de remonter brièvement le courant historique de cet instrument de musique classique en Afrique de l’Ouest.
Quel est l’histoire de la Kora ?
Tout comme l’origine des griots, celle de la kora revêt un caractère mythique[2]. Le moment précis de son apparition dans l’histoire demeure inconnu. La source écrite la plus ancienne faisant mention d’un tel instrument remonte à la fin du XVIII siècle. En 1797, l’explorateur écossais Mungo Park relata, lors de son voyage sur le fleuve Niger, la découverte d’une harpe à 18 cordes nommée « korro ». Pourtant, aujourd’hui, les joueurs de kora ne s’accordent pas sur cette origine, certains faisant même remonter l’instrument au XIII siècle… Il existe donc jusqu’aujourd’hui des discussions sur l’origine de la Kora.
Selon certaines légendes, les premières koras étaient jouées par des djinns[3]. Un jour, le grand roi Soundiata se promenait le long d’un fleuve en compagnie de son ami Balafacé-Kouyaté[4] lorsqu’il entendit pour la première fois le son envoutant de cet instrument. Il s’aventura dans les eaux du fleuve et l’arracha des mains du Génie musicien. Une fois revenu sur la berge, Soundiata fit résonner la kora puis, ravi, la tendit à son ami qui en joua à son tour. “C’est encore plus agréable de l’entendre que d’en jouer”, s’exclama Soundiata. “Dorénavant tu joueras pour moi.”
On raconte aussi que Jali Mady Wuleng, fut le premier à découvrir la kora. Charmé par sa douce sonorité, il aurait tendu un piège à un djinn et serait parvenu à lui subtiliser son instrument. En Gambie, une légende raconte que la première Kora était l’instrument personnel d’une femme-génie. Impressionné et ému par la musique de l’instrument, un grand chef de guerre, Tiramakhan Traore, décida d’en déposséder la femme-génie. Aidé de ses compagnons de chasse, il récupéra l’instrument qui échut à Djelimaly, le djelibah[5] du groupe. Djelimaly la transmit à son fils Kamba. Et ainsi elle passa de pères en fils. Enfin, pour certains griots, la région d’origine de la Kora serait à Kaabu, l’ancien royaume mandingue du Sénégal et de la Guinée-Bissau.
Ces mythes ont contribué à entretenir la dimension mystérieuse de la kora. Durant la période coloniale, la kora jouissait d’une grande popularité[6], les colons préférant sa sonorité douce et mélodieuse aux sons plus percussifs du balafon et des tambours. Après la période de décolonisation, la kora devint un symbole de modernité et d’authenticité culturelle en Afrique de l’Ouest. Ceux qui maîtrisaient son art furent élevés au rang de célébrités nationales.
Qui sont les hérauts et héros de la Kora ?
Ce n’est que dans les années 1970 que des enregistrements de Kora commencent à être mis à la disposition d’un large public. Parmi les plus remarquables, citons “Mali : Cordes anciennes” de Sidiki Diabate et Djelimadi Sissoko, premier duo instrumental de koras enregistré en 1970 et “Gambie : Mandinka kora” de Jali Nyama Suso en 1972. De grands artistes ont par la suite popularisé cet instrument, on peut citer :
- Soundioulou Cissoko, qui fut le musicien favori du président sénégalais Sédar Senghor
- Lamine Konté, qui est est certainement le premier griot[7] qui ait fait connaître la kora au public européen et qui ait le plus popularisé la musique mandingue,
- Foday Musa Suso installé aux Etats Unis, qui a fondé le groupe The Mandingo Griot Society, une fusion pop-rock-musique traditionnelle africaine.
- Mory Kanté , qui mêle le pop et la tradition mandingue. Parti de Bamako pour Abidjan, puis pour Paris, il connaît un succès international avec la chanson Yéké Yéké en 1987 et contribue à populariser l’image de la kora auprès du grand public.
- Djelimady Sissoko, Toumani Diabaté, Ballaké Sissoko, Soriba Kouyaté, Sekou Kouyate le jimi hendrix de la kora , Ba Cissoko, ou des virtuoses de la nouvelle génération tel Ali Boulo Santo, Djeli Moussa Diawara, Ousmane Kalil Kouyaté, Kandia Kouyaté, et Zoumana Diarra.
Aujourd’hui, une nouvelle approche de la kora, qui prend ses racines dans les travaux des moines de l’Abbaye de Keur Moussa (Sénégal), est principalement incarnée par le Frère Dominique Catta[8], moine de Keur Moussa, et par le compositeur français Jacques Burtin[9]. Ce dernier a introduit la kora dans le monde de la création artistique contemporaine. La Kora est de plus en plus croisée avec d’autres traditions musicales et les sonorités acoustiques hybrides et enivrantes qui en découlent, ne peuvent être décrites par des mots mais doivent être dégustées par nos sens. Le pouvoir thérapeutique de la Kora ne se dit ni déclare point, il s’expérimente et se vie. Cliquez ici pour satisfaire cette envie.
Références
[1] La kora est la seule harpe à calebasse dont jouent les griots.
[2] « La kora et ses mythes », BOZAR, consulté le 15 octobre 2018, https://www.bozar.be/fr/magazine/138520-la-kora-et-ses-mythes.
[3] Ces créatures surnaturelles vivant dans les endroits déserts joueraient de l’instrument près des cours d’eau et dans la savane.
[4] C’est ainsi que Balafacé-Kouyaté devint l’ancêtre des griots, poètes, historiens et conteurs qui firent entendre la kora à la cour des empereurs mandingues et transmirent jusqu’à ce jour la mémoire, les batailles et les rêves de leur peuple.
[5] Un Djelibah est communicateur traditionnel qui a presque le même rôle qu’un griot.
[6] Yamssou Alsankara, « La Kora, fabuleux instrument de musique africain », AFRIKHEPRI FONDATION (blog), 10 avril 2018, https://afrikhepri.org/la-kora-fabuleux-instrument-de-musique-africain.
[7] « Le griot, la kora et l’esprit du festival – 21/07/2018 – ladepeche.fr », consulté le 18 octobre 2018, https://www.ladepeche.fr/article/2018/07/21/2839652-le-griot-la-kora-et-l-esprit-du-festival.html.
[8] Le Frère Dominique Catta a introduit la kora dans la liturgie chrétienne à partir des années 1970 ; avec lui, la harpe africaine a dialogué pour la première fois de son histoire avec des instruments occidentaux.
[9] Jacques Burtin, « HISTOIRE DE LA KORA », consulté le 15 octobre 2018, http://www.jacquesburtin.com/koraFr.htm.