Les femmes en Afrique jouent-elles autant aux jeux vidéo que les hommes ? Il s’agit là d’une interrogation digne de figurer à l’émission française Questions pour un Champion. Evidemment, on pourrait à priori répondre par la négative mais disposons-nous de faits concrets pour justifier cette position ? Alors que de nombreuses études américaines[1], françaises[2] ou asiatiques pullulent sur le rapport des femmes au jeu vidéo, elles deviennent rares ou inexistantes lorsqu’il s’agit du continent africain. Pourquoi ?
Parce que le jeu vidéo est encore un phénomène social et une pratique culturelle en mutation sur le continent. A l’exception de l’Afrique du Sud où l’industrie du jeu vidéo a démarrée dans les années 80-90, il faudra attendre les années 2000 pour voir apparaitre les premiers jeu vidéo sur mobile ou PC produits par des studios d’Afrique subsaharienne.
Mais bien avant la production de jeux vidéo africains, les jeunes africains étaient déjà en pratique immergés et habitués à consommer des jeux vidéo étrangers. Des salles de jeux arcades aux salles de PlayStation où les jeunes s’agglutinaient pour se livrer des championnats de FIFA ou Pro Evolution Soccer. Aujourd’hui, les pratiques ont légèrement évolué depuis le boom numérique et technologique qui a permis la démocratisation des outils et méthodes de jeu vidéo. Si auparavant, il fallait forcément se rendre dans une salle de jeu vidéo, où l’on payait environ 10 centimes de $ pour jouer une partie, il est désormais possible de le faire à partir de chez soi et même en itinérance.
Les coûts des équipements de jeu vidéo (consoles de salon, TV, PC…) ont progressivement chuté, permettant ainsi à de plus en plus de jeunes, de classe moyenne, de pouvoir s’en procurer. Mais c’est certainement les smartphones qui vont vulgariser la pratique des jeux vidéo en Afrique. Même les enfants, qui ne sont point propriétaires de smartphones, empruntent régulièrement celui de leurs parents ou aînés pour jouer à des jeux mobiles dont ils sont passionnés.
Dans nos analyses antérieures, nous avions abordé les mutations du jeu vidéo en Afrique, qui devient de plus en plus un phénomène social et culturel accepté. Ici, nous présentions le potentiel éducatif de ces jeux vidéo pour mobile made in Africa, les défis de financement[3], les opportunités économiques de cette filière[4] et formulions des recommandations pour le développement de cette pratique sur le continent. Mais s’il existe un aspect des jeux vidéo qui manque considérablement d’informations, c’est sans aucun doute en rapport avec la dimension du genre.
Combien de femmes en Afrique jouent aux jeux vidéos ? Comment jouent-elles, sur leur smartphone, tablette, PC ou dans les salles de jeu ? Combien de fois jouent-elles aux jeux vidéo : est-ce occasionnellement ou régulièrement ? Quelle est leur perception et expérience des jeux vidéo existant sur le marché (Google Store, App Store…) ? Quelle est le pourcentage de femmes actives dans la conception des jeux vidéo en Afrique ? Etc.
Voilà autant de questions auxquelles il est difficile d’apporter des réponses fiables et chiffrées. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé de passer des observations et suppositions à la collecte de données pouvant renseigner le profil des joueuses de jeux vidéos africaines. Nous avons ainsi mené un sondage préliminaire sur Facebook à travers une question : « Les femmes en Afrique, jouent-elles autant aux jeu vidéo que les hommes ? ».
Les commentaires, diverses et variés, nous ont permis de constater que la compréhension des jeux vidéo est assez biaisée. En effet, la majorité des répondantes concevaient exclusivement l’expression « jeu vidéo » comme étant celui nécessitant une console de jeu et un écran de télévision. Alors que cela renvoyait à tout jeu sur ordinateur, télévision, console de jeu, ou mobile (tablette ou smartphone).
Avant cette clarification, la majorité des réponses furent donc négatives :
- “Les femmes n’ont pas le temps de jouer aux jeux vidéo”
- “Comment pouvons nous jouer aux jeux vidéo avec les taches ménagères et obligations familiales qui pèsent sur nous ?”
- “Les jeux vidéo c’est pour les garçons et non pour les filles”
- “Hum, je n’y joue pas parce que c’est pour les enfants”
- “Mes parents m’interdisaient d’y jouer car ça devait développer de l’agressivité en moi…”
En somme, nous avons pu constater que l’une des barrières à la pratique des jeux vidéo par les femmes est d’ordre social. En général, les femmes hésitent beaucoup à se revendiquer joueuses ou « gameuses » et cette difficulté augmente avec l’âge. Bien que 48% des joueurs de jeu vidéo aux Etats Unis sont des femmes, mais seulement 6% d’entre elles se considère comme des « gameuses », une terminologie bien souvent réservée aux férus ou hardcore du jeu vidéo sur console et PC. Et même sur PC et consoles, on retrouve également les femmes. Peut-être pas suffisamment en Afrique, mais une étude britannique parue en 2014, a démontré que la moitié des femmes jouant à des jeux vidéo le font sur console.
En parallèle avec notre sondage sur les réseaux sociaux, certaines femmes perçoivent les jeux vidéo comme étant un loisir d’homme : 72% des 43 femmes ayant répondu au sondage sont d’accord avec ce point de vue. Il s’agit là d’une autre barrière pour celles qui veulent s’orienter professionnellement dans le secteur des jeux vidéo. Les métiers de la programmation étant associés aux mathématiques, une matière encore perçue dans l’imaginaire collectif comme masculine, accentue ce phénomène, alors que le jeu vidéo combine technique et artistique.
D’autres rattachent cette pratique à l’enfance et craignent d’être traité d’enfantin, si jamais elles étaient surprises à jouer à un jeu vidéo. Pour se conformer à la représentation sociale du jeu vidéo, certaines décident ainsi de ne pas y jouer, même si l’intérêt existe. Enfin, une dernière catégorie de répondantes, généralement âgées de plus de 26 ans, considéraient le jeu comme une pratique futile pour une femme dont le temps est consacré presqu’entièrement à la gestion du foyer et des enfants.
Après avoir apporté une clarification précisant le type de jeu vidéo, notamment celui sur mobile. Les réponses reçues furent légèrement différentes. Nous avions eu beaucoup plus de réponses positives et les répondantes indiquèrent qu’elles jouaient en moyenne une fois à une application de jeu vidéo installée sur leur smartphone. Cela corrobore avec une étude semblable menée par Médiamétrie en 2013, qui confirmait que les femmes [françaises] privilégient la tablette pour se divertir et communiquer. « 40% des femmes ” tablonautes ” ont joué au cours du dernier mois contre 35% en moyenne. Plus encore la tablette semble favoriser cette pratique puisqu’une femme sur deux joue davantage sur tablette que sur ordinateur.[5] »
D’autres cependant, ont révélé jouer régulièrement à des jeux sur leurs smartphones, surtout lorsque ces jeux abordaient leurs centres d’intérêt : relation amoureuse, développement personnel, jeu d’aventures, de découverte… Elles déclarent également que leurs pratiques vidéo-ludiques ont développé l’esprit d’équipe, la patience et leur créativité.
En quoi ces données préliminaires sur les pratiques de jeux vidéo par les femmes en Afrique, sont-elles importantes ?
La compréhension des attitudes et usages des jeux vidéo par les femmes permet de mieux définir les politiques éducatives s’appuyant sur les technologies mobiles et de mieux élaborer les approches et contenus pédagogiques pour/sur le continent africain. Par exemple, nous avions mené une étude sur l’efficacité pédagogique d’un jeu sérieux développé par le studio Ghanéen Leti Arts, pour permettre au joueur d’acquérir les connaissances utiles dans la prévention et le traitement du paludisme. Notre échantillon de participants à l’étude était constitué de 137 étudiants sages-femmes ou infirmier. Seulement 9%, soit 13 personnes, étaient des hommes alors que la majorité des intervenants était des femmes soit 91%, c’est-à-dire 124 femmes. Les résultats avaient ainsi démontré que les femmes de cette école d’infirmiers jouaient plus régulièrement à ce jeu que leurs camarades hommes. Elles se donnaient régulièrement des challenges afin d’obtenir le meilleur score dans le jeu Hello Nurse et cette pratique régulière du jeu avait considérablement et positivement influencé leurs connaissances et comportements[6].
Aussi, elles étaient moins exigeantes sur la qualité ludique et graphique du jeu en lui-même. Une tolérance liée en partie au fait que le personnage principal du jeu, Adjoa, était de genre féminin.
Conclusion
En définitive, nous sommes conscients des limites inhérentes à cette analyse, qui n’entre pas suffisamment dans les détails. Mais d’autres recherches ont démontré que les femmes sont proportionnellement plus nombreuses à jouer à des jeux sur smartphone, Facebook, ou sur des portails Internet. Ces types de jeux ne sont pas reconnus comme « nobles » par la communauté des joueurs, car souvent trop simples et peu recherchés.
Notre analyse propose un compendium sur le sujet de la mixité dans le jeu vidéo et montre la nécessité ou l’urgence d’accorder plus d’intérêt à la filière du jeu vidéo en Afrique, c’est un secteur prometteur où les femmes aussi auront leur rôle à jouer. Il faut investir sur l’éducation – et la sensibilisation – pour une plus grande mixité et représentation des femmes dans l’industrie des jeux vidéo. Dans une prochaine analyse, nous élaborerons davantage et en profondeur sur les profils des joueuses et développeuses de jeu vidéo sur le continent africain. Il s’agira d’interroger la dimension genre autant dans la production que la consommation des jeux vidéo en Afrique.
Notes et références
[1] Par exemple, le Pew Research Center a interrogé un échantillon réprésentatif de 2001 Américains de plus de 18 ans. D’après les résultats, 48% des femmes jouent au jeux vidéo contre 50% pour les hommes.
[2] En France, 47% des joueurs sont des joueuses. URL : https://www.afjv.com/news/8643_les-femmes-dans-l-industrie-du-jeu-video-episode-2.htm
[3] Dans une interview accordée à RFI, Olivier Madiba, un des fondateurs du Studio Camerounais Kiroo Game soulevait cet accès difficile au financement pour les créateirs de jeu vidéo africains : « la plupart des créateurs sont vraiment bloqués par le financement. Il y a une qualité que vous ne pouvez pas atteindre quand vous vous demandez comment vous allez payer votre loyer dans deux jours. C’est impossible. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent créer, mais aucune banque ne finance le jeu vidéo ici, comparé à l’Occident, par exemple, où certaines banques ne font que ça. C’est en train d’émerger, mais il n’y a pas encore de fonds, de capital risque, de mécènes qui croient en cela. » URL : https://www.rfi.fr/emission/20171112-afrique-jeu-video-production-consommation-madiba-kiroo-games 3/3
[4] Ngnaoussi Elongue C. Christian, « Les défis de financement des jeux vidéo produits en Afrique », Thot Cursus, consulté le 21 janvier 2019, https://cursus.edu/articles/41582/les-defis-de-financement-des-jeux-video-produits-en-afrique.
[5] Etude SELL/GfK “Les Français et le jeu vidéo” sur une base de 1 023 personnes âgées de 10 à 65 ans, octobre 2017
[6] Cedric Christian Ngnaoussi Élongué, « L’univers d’un jeu vidéo influence positivement la motivation dans l’apprentissage », Thot Cursus, consulté le 9 avril 2019, https://cursus.edu/articles/42777/lunivers-dun-jeu-video-influence-positivement-la-motivation-dans-lapprentissage.
Très interessant. Moi femme africaine, je ne joue pas aux jeux vidéos, parce qu’en grandissant, c’était réservé aux garçons. Quand maman nous offrait les cadeaux à Noël ou pour les vacances, les “games” étaient réservés aux garçons. Et maintenant je les trouve ennuyeux.
Bonsoir Jeannine,
Ravi de te lire et d’avoir ta perspective sur ce sujet.
Il est en effet important de changer les perceptions et représentations du jeu vidéo en Afrique afin que cette industrie puisse véritablement se développer. Les jeux vidéo sont utiles pour tout le monde. Des sensibilisations et éducation pour un changement des mentalités sont importantes.
Tu trouves ces jeux ennuyeux, tout simplement parce que tu n’as pas vraiment été initiée. Je suis sur que tu prendrais gout si jamais tu ty exerçais régulièrement. Ou bien?
Très bonne analyse mon grand. La façon dont les africains n’accordent pas encore suffisamment d’attention aux jeux vidéo m’écoeure. Vivement que les choses changent
Bonsoir Johnson,
Les choses vont certainement changé.
Lentement mais surement. La culture du jeu vidéo est entrain de se développer et le nombre de jeux produits en Afrique augmente.