L’Afrique est parvenue à prendre ses discours pusillanimes pour de véritables efforts de développement, à considérer la dureté de ses propos contre l’Occident pour de « vraies bombes meurtrières » et l’humanitarisme occidental pour un dû historique. La fiction et la réalité se sont si étroitement imbriquées que pour voir une amorce de développement, il faudrait d’abord dénouer l’écheveau de mensonges, de vérités approximatives dans lequel les mentalités se sont empêtrées à force d’évitement.
La polémique interrogation : « Et si l’Afrique refusait le développement ? » de l’essayiste Axelle Kabou, lancée voici déjà un quart de siècle continue à susciter de nombreuses réflexions au sein des milieux intellectuels africains d’autant plus avec le climat de crise et d’insécurité qui règne partout en Afrique. De nombreux « intellectuels » se sont longtemps acharnés à décrire par le menu la logique occidentale de domination qu’à mettre la logique africaine de sujétion, qui légitime la première. Or peut-on vraiment parler de sous-développement sans le mettre en rapport avec les mentalités et les cultures africaines ?
Du refus de développement.
« L’obstacle majeur au développement en Afrique, quel que soit le domaine considéré, est d’abord de nature psychologique. »
Le sous-développement africain commence par le sous-développement de la perception de soi et du monde extérieur, par l’immobilisme des mentalités et se perpétue par le retour des Africains lettrés aux valeurs du terroir, sans condition. Il serait alors naïf de croire que le « sous-développement » de l’Afrique soit dû à un quelconque manque de capitaux. La compréhension de la stagnation des africains doit d’abord s’opérer au niveau micro-économique le plus élémentaire, dans la tête des africains, c’est-à-dire la mentalité, qui jusqu’à présent demeure taboue et sacralisée.
Ce refus de développement commence par un refus de responsabilisation et de conscientisation au lendemain de la traite négrière et la colonisation. Ledit refus se manifeste par la propagation du mythe de l’égarement historique, scientifique et technologique du Noir qui trouve toujours de quoi justifier son droit à l’inertie ou à la différence. Les africains se plaisent à se décrire comme étant des victimes de l’Histoire face à un « coupable occidental » qui devrait par conséquent les indemnisés pour les « dommages » qu’il aurait causé. Kadhafi a ainsi réussi à imposer pour la Lybie des frais de « réparation » à l’Italie, clamant qu’il s’agissait d’une « question d’Honneur ». Mais il convient de souligner la cruelle inutilité de pareils procès, tout comme ceux imputés aux criminels de guerre car les morts ne reviendront jamais, aussi élevée que puisse être la peine. La douleur ne donne malheureusement aucun droit a pu dire André Brink à propos de la situation des Noirs en Afrique du Sud. Or l’Afrique loin de tirer des leçons pratiques de ces périodes sanglantes s’est mise à vouloir obliger l’Occident à régler l’ardoise de ses crimes… et ce avec la dureté du verbe ! Oui ! et après ! Est- ce cela qui effacera notre complicité dans cette barbarie ? Il n’y aura pas de Plan Marshall pour l’Afrique. L’histoire connue de l’humanité n’offre aucun exemple de nations faibles ayant obtenu des réparations de guerre en se contentant de gémir.
La technoscientophobie et aliénation culturelle : tandem mortel ?
« l’anti-occidentalisme primaire est si ancré dans les mentalités qu’il constitue encore le meilleur gage de la pérennisation de l’arriération sur tous les plans ». Axelle Kabou
Convaincue par le faux anti-machinisme d’après-guerre qu’elle devrait rester la seule civilisation sans machines du XXI siècle, l’Afrique n’a, de fait, consenti aucun effort depuis les indépendances pour se doter de structures industrielles régionale ou sous régionale, afin de réduire sa dépendance à l’égard de l’extérieur. Elle s’accroche à ses « Etats théoriques » au lieu de s’atteler à la création de ces grands ensembles économiques qui conditionnent sa survie comme le lui recommandait in fine Kwame Nkrumah. Elle lance de grands appels vers l’Europe, d’autant moins disposée à voler à son secours qu’elle est actuellement confrontée à de graves débats historiques, économiques et sociaux. L’Afrique est donc le lieu où « les leçons maladroitement apprises renforcent l’arriération initiale et laissent pantois devant d’apparents revirements ». La technoscientophobie africaine entraine sa double marginalisation : d’une part d’avec ses anciennes « collègues » (Chine, Inde, Brésil…) qui hier étaient au même poste et d’autre part d’avec les européens qui, de par la créativité et l’expansion des anciens collègues, se méfie de son réveil.
En outre, la conception africaine post indépendantiste de la culture et de la tradition est un frein au développement. Le dualisme « tradition-modernité » et partant l’aliénation culturelle est un mythe car la plupart des consciences africaines se sont figées, barricadées et repliées sur elles-mêmes après avoir diabolisées les valeurs de la modernité. Ce prétexte d’aliénation culturelle a pour fonction d’instaurer un climat de résistance à l’installation d’idées nouvelles dans les mentalités. Il n’y a pas, à proprement parler, de déracinement, mais plutôt une sorte de mauvaise conscience à l’égard des valeurs traditionnelles. C’est pourquoi, après plus d’un demi-siècle d’indépendances, l’Afrique n’a toujours pas effectué l’inventaire de ses valeurs traditionnelles objectivement dynamiques qui pourraient, non seulement constituer le fondement solide de politiques cohérentes de développement, mais aussi servir à minimiser les effets pervers de la domination extérieure. Ce mythe de l’antagonisme tradition-modernité va engendrer une pensée polluée, coagulée et absolument inopérante mais dont on ne pourra se débarrasser qu’au prix d’une révolution mentale permettant de purger une fois pour toute la honte de la traite et de la colonisation.
Les Avatars de l’Africanisation.
« La véritable africanisation reste à inventer».
Partout en Afrique on note une absence cruelle de projet de société cohérent, d’idées neuves. Seule émerge de cette inertie organisée une ambition crépusculaire : celle de rester soi-même à n’importe quel prix. L’Africanisation reste encore largement une entreprise cathartique de décolonisation à la manque, consistant à planter le drapeau de l’ancêtre vaincu là où flottait celui de l’homme blanc. Ce retour à soi qui aurait pu être une aventure exaltante, libératrice d’énergies créatrices, est en train de tuer l’Africain lentement et surement, pour n’être qu’une opération de lavage de cerveau, au profit de valeurs culturelles non repensées. L’enseignement africanisé, loin de favoriser l’ouverture nécessaire au développement, aurait plutôt tendance à prôner le repli sur soi.
L’africanisation a justifié l’isolationnisme culturel et entraîné la résistance des Africains vis-à-vis de la pénétration culturelle occidentale. Cela est bien visible dans l’éducation où malgré la multiplication des séminaires sur l’éducation de base, la formation des formateurs, la nécessité d’introduire la science et la technologie, ces programmes demeurent mal pensés. Les programmes éducatifs sont basés non pas sur des sujets de fierté mais sur des sujets de honte : esclavage, colonisation. Les intellectuels doivent étudier le passé, non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons, ou s’en écarter en connaissance de cause si cela est nécessaire. On a coutume de dire qu’une erreur n’est considérée comme telle qu’à la première occurrence, la seconde étant considérée comme un choix délibéré. Nous avons hérité d’une histoire mais qui a été vidée de ses enseignements pratiques car nous continuons à perpétuer le discours d’une conscience post-indépendantiste humiliée, nous refusons le droit vital à l’ouverture au nom du droit à la différence.
La technologie ne se transfère pas, elle se conquiert.
De nombreux gouvernements africains sollicitent des transferts de technologie pour aider leur pays à s’industrialiser ou à se « développer ». Pourtant la puissance que charrie la technologie et désormais la technoscience ne se transfère pas, elle se conquiert. La conquête et la maitrise de la technoscience par les africains est le moyen le plus efficace et efficient de pouvoir participer à la mondialisation en tant qu’acteur et non en tant que victime résignée. Toutefois, la conquête et la maitrise de la technoscience par les africains ne devrait pas se faire à tout prix et à tous les prix même à celui de leur âme. Car la technoscience véhicule une idéologie plus ou moins implicite. Mieux elle présente dans certains de ses domaines notamment l’ingénierie génétique ou procréatique, une an-éthicité qui est antinomique à l’éthos africain. Ainsi son appropriation nous confronte comme le fait remarquer Mono Ndjana non sans justesse à « une dialectique compliquée faite à la fois d’un attrait nécessaire et d’une méfiance indispensable. » Une méfiance qui n’est rien d’autres que de la vigilance éthique. Le développement de l’Afrique et partant sa résistance à l’hégémonie occidentale passe par la réévaluation de son rapport à la technoscience à la lumière des défis actuels à savoir ceux de l’émergence et de l’éthique.
Pour l’avènement d’une Afrique décomplexée.
Après avoir dressé ce panorama que d’aucuns vont peut-être qualifié d’afropessimiste, essayons de proposer des conditions pour l’avènement d’une Afrique décomplexée. En effet, cet examen critique de l’Afrique vise à choquer et à éveiller les mentalités africaines qui sommeillent faute d’examen lucide sur certains pans critiques de leur histoire. Notre première recommandation est le boycottage de l’Union Africaine qui a grandement failli à sa mission unitaire depuis sa création en 1963. Il serait donc préférable de la dissoudre dès maintenant afin qu’elle ne cause davantage de préjudice au continent. Comment voulez vous qu’une pareille institution puisse agir pour l’Afrique quand elle est financée par les Occidentaux. C’est la main qui donne qui commande la main qui reçoit. Le récent discours du nouveau président de l’Union Africaine (UA) Idriss Deby Itno aura certe ravivé une lueur d’espoir au sein de la jeunesse africaine. Mais cette lueur n’est-elle pas un leurre ?
Si la colonisation, la traite négrière et l’insupportable médiocrité actuelle des Africains ne sont pas assez humiliant et convaincant pour les amener à changer de mentalités et à s’unir, je me demande bien quand ce moment adviendra. Pourquoi les nombreuses humiliations et pressions extérieures qu’ont subies les sociétés africaines n’ont pas provoqué, à l’inverse de ce que l’on a observé ailleurs, une désacralisation suffisamment forte du savoir pour éveiller les consciences aux dangers réels qui les menaçaient ? QUAND LES AFRICAINS CESSERONT-ILS DE SE MÉPRISER, DE SE VENDRE LES UNS LES AUTRES ?
Conclusion
L’Afrique bâillonnée est un cliché sans fondement qu’il faut absolument écarter pour être en mesure de saisir la dynamique profonde des réalités politiques et des sociétés africaines. Ces dernières ne sont pas des musées. Elles sont en actes et en devenir. Le rôle historique de la tradition est de fournir des réponses adéquates aux défis que rencontre inévitablement toute culture vivante, et non de siéger dans un musée. L’Afrique doit donc développer de la curiosité scientifique afin de pouvoir s’affirmer dans les systèmes mondialisés du savoir. La bataille de l’intelligence est un enjeu de pouvoir au plan mondial. L’Afrique ne peut plus se maintenir dans une sorte d’adolescence perpétuelle au point de vue de la recherche. Car s’il est vrai que le développement n’est pas une course contre l’occident, elle l’est par contre pour les maux croissant et multiples de l’Afrique. Il devrait donc se poser en termes qualitatifs autocentrés et actualisés.
Auteur: Christian Elongue
Texte original publié sur le site sénégalais: https://www.lecasamag.com/pourquoi-les-africains-refusent-ils-le-developpement/
Bravo l’afropolitain! J’ai le regret de confirmer ma pensée selon laquelle le problème des africains est beaucoup plus psychologique. Que chacun change son être, sa façon de penser, sa mentalité. Que l’on arrête de se nourir en victimes. Que l’on assume et ce que l’on a subi, et ce que l’on a fait subir. Que nous décidons de changer les choses, décidons d’être des guerriers.
Pour aller dans le même sens que ton commentaire, j’aimerai convoquer Frantz Fanon qui dans Peaux Noires Masques Blancs déclarait : La densité de l’Histoire ne détermine aucun de mes actes. Je suis mon propre fondement. Et c’est en dépassant la donnée historique, instrumentale, que j’introduis le cycle de ma liberté.
Autrement dit, c’est à chacun de définir la trajectoire qu’il veut donner à son Histoire. Pleurer et accuser l’Autre de nos malheurs ne changera rien à notre sors. Comme tu l’as dit, il faut assumer notre passé et le dépasser. C’est la seule condition pour retrouver notre liberté.