On commence par un petit apéro…
La langue est surement la clé qui ouvre les portes d’une culture. Composante fondamentale de toute civilisation, la langue est le socle des valeurs, le réservoir des connaissances et de la vision de tout peuple. L’existence d’un peuple est même souvent rattachée à la présence d’une langue parlée ou employée par une communauté d’usager. Il existe même de très petite communauté dont la légitimité n’a été reconnu que grâce à l’existence et l’usage d’un code linguistique qui leur est propre. L’intégration à la mondialisation nous oblige, insinueusement à être bilingue non seulement pour avoir de meilleures perspectives d’emploi mais le fait de parler deux ou plusieurs langues est une stimulation au niveau cognitif et même une certaine protection contre la survenue de la démence.
Mais bon, laissons ça de coté. J’ai commencé par une digression avant d’attaquer le fond même de mon article : l’importance capitale que revêt la langue pour accéder à une culture étrangère. Depuis près de deux ans que je vis en Egypte, l’usage courant de la langue arabe a toujours été mon plus grand défi. Vivre en Egypte sans parler l’arabe c’est comme vivre sur la lune. Non ! J’exagère un peu : c’est comme vivre au royaume des sourds-muets ! Quand tu ne maitrises pas l’arabe, toute communication voire l’intégration devient très difficile. Et il faut effectuer de véritable gymnastique pour se faire comprendre par l’égyptien lambda. Des cours d’arabe que j’ai reçu à mon arrivée à l’université Senghor, je n’ai retenus qu’une poignée dont je vous donnerai la signification et mes différents usages.
1. Allartoulle : l’indicateur géographique le plus utilisé des senghoriens.
Allartoulle: nom masculin singulier qui signifie « droit devant » ou « tout droit ». Sens 1 : C’est le principal mot qui me sert comme indicateur géographique surtout lorsque tu es embarqué dans les transports publics. Pour indiquer au chauffeur ou au taximan que tu n’es pas encore à destination, il suffit de prononcer le mot magique « Allartoul » pour qu’il comprenne. Il va essayer d’avoir davantage de précision mais comme c’est tout ce que je connais, je repète seulement « allartoul » ou à défaut je donne le nom d’un lieu ou batiment connu autour de ma destination. Sens 2 : Cette expression dans le jargon senghorien est synonyme de « allons jusqu’au bout » et sert à exprimer le courage ou la détermination à achever une action ou une activité. Chez nous au Kamer, on dit « ça sort comme ça sort » et les Ivoiriens avec Molaré diront « Allons seulement… ! »
2. Habibi, expression de l’affection mais à usage modéré.
- Habibi : Sens 1 : Ce mot était « mouckellatique » car il avait une connotation différente selon qu’on passait d’un milieu ou d’un individu à un autre. Tu vas le dire à un égyptien et tu le verras sourire. Tu dis la même chose à un autre et il s’énerve. Mais l’important c’est de ne jamais le dire à une « femme » égyptienne sauf si c’est une amie intime. Sinon elle affichera un sourire gené et se sentira embarrassée ou alors elle feindra l’indifférence. Si par malheur, des hommes sont aux alentours, tu verras des regards suspicieux se poser indélicatement sur toi. Mais si par malchance, c’est son époux qui est là et t’entend appeler sa chérie ainsi, mon frère tu auras chaud… Je réservais donc l’usage de ce terme affectif pour certaines collègues noires africaines de l’Université car l’expression « chérie » chez nous a presque été banalisée et désémantisée.
- Sens 2 : Habibi était aussi le sobriquet affectif que nous avions attribué à une sexagénaire indigente dont le « bureau » était à l’entrée de l’Université. Très courtoise, elle nous saluait chaque matin à notre descente des bus. Elle se montrait aussi très « affective » et reconnaissante quand elle recevait certains égards ou geste de magnanimité des passants.
3. Mafich Mouckella ou l’expression de l’entente.
- Mafich Mouckella: expression courante qui sert à marquer l’assentiment ou l’entente entre deux parties après une discussion. Le mot « mouckella » en arabe signifie « problème ». Donc quelqu’un de « mouckellatique » c’est quelqu’un de « problématique ». C’est le genre de personne qui ne peut s’empecher de semer la pagaille autour de lui ou de provoquer. J’employais donc l’expression « Mafich Mouckella » surtout après une discussion pour indiquer que je n’en tenais rigueur à personne : qu’il n’y avait point de souci. Qu’on était quitte quoi.
Kétire : terme économique très nécessaire et « stratégique » pour les négociations.
- Kétire: expression qui signifie littéralement « c’est très cher ». C’est l’un de mes mots préférés. Surtout lorsque je fais des achats dans les magasins des avenues commerciales de Khaled Bin Walid ou dans les prêts à porter de Mancheya. Je dois vous avouer qu’avant ma venue en Egypte, j’avais toujours cette fâcheuse habitude devenu réflexe de vouloir marchander et négocier le prix. En tant que fils de commerçants, j’avais gardé en esprit que le premier prix qu’on appelle chez nous « prix taxé » n’était jamais le « bon prix ». Chez nous, quand tu fais le marché, que ce soit à Mboppi ou dans n’importe quel marché, c’est après de apres et dures négociations que le vendeur te fait des réductions qui équivalent parfois à 15 ou 20% du « prix taxé ». Mais ça c’est au Cameroun, en Egypte, c’est tout autre chose ! Les prix ne se discutent pas sinon très rarement ! C’est presque comme à Monoprix : on t’informe seulement du montant et c’est à prendre ou à laisser ! Tu montes tu descends tu vas sauf que buy alors retourner avec tes dos. Et si tu penses qu’ils vont t’appeler pour accepter te faire un rabais, c’est que tu as menti. Tu vas faire 100, 200… 800 m en attendant qu’il te rappelle, comme ça se fait chez nous, mais il n’y aura rien. Quand tu retournes la tête après un km, tu vas constater qu’il ne te gère même pas et il va continuer avec d’autres clients ou vaquer à d’autres occupations.
Malgré ce constat, je ne pouvais m’empêcher de vouloir marchander : d’autres diront que c’est le sang bami qui coule dans mes veines (et puis quoi ?!) Je suis bami et fier de l’être : ma’a calcul, ma’a plan. Si ça t’énerve, tu sautes et tu… C’était juste une autre parenthèse hein 😊 ! Je disais donc que le mot « Ketir » était le premier son que j’émettais, presqu’automatiquement, lorsqu’un boutiquier, surtout de la rue, m’indiquait le prix d’un article vestimentaire. Ils étaient toujours surpris de voir que je ne parvenais plus à dire autre chose par la suite car c’était le seul mot marchand que je maitrisais en arabe. On poursuivait donc les négociations avec des expressions faciales, des mimiques ou de la gestuelle pour signifier soit mon accord ou désaccord.
Même si je ne parlais pas arabe, je faisais souvent à quelques petites astuces d’art oratoire pour ramollir le vendeur. Comment ? En suscitant la conversation autour du … football : une passion pour la plupart des égyptiens qui sont friands du ballon rond comme un chien pour un os. Ils vont directement vouloir te rappeler qu’ils sont les pharaons du football africain avec 7 trophée de CAN à leur actif. Ils se lançaient donc dans un long discours panégyrique pour leur joueur favori Abou Treicka qu’il disait être le meilleur de tous les temps. Je ne m’y pretais que partiellement puisque ma stratégie était de le rendre joyeux pour qu’il rabaisse le prix de mes articles !
Atteignais je mon objectif ainsi ? A 70 % oui, cela marchait ! Je parvenais ainsi à économiser environ 20 à 30 % sur le prix initial des articles qu’ils prenaient souvent un malin plaisir à augmenter en pensant que je suis un Afro-américain.
Evidemment, les « muna for borbor » ne se prêtent pas à ce genre de jeu. C’est donc difficile de voir un « boss » employer le mot « Ketir ». D’où la différenciation sociale observée dans l’usage de ce mot.
Shoukran, expression passe-partout de la gratitude ou d’un remerciement.
- Shoukran ou « Merci » car j’ai toujours été poli envers les autres. Je l’utilise donc à tout moment pour remercier des services que je reçois. Il m’arrive même parfois de dire « Merci » lorsque victime de railleries ou de moqueries. L’indifférence est parfois la meilleure réponse aux incultes.
Bon, je pense qu’il faut que j’arrête là pour l’instant sinon l’article ci risque d’être très long (comme si ce n’est pas déjà le cas) et ça risque te fatiguer ( 😊 j’espère c’est pas le cas). Ceci n’est qu’un apéro, je vous décrirai dans un prochain billet, les autres mots de mon vocabulaire égyptien comme Samara, Magsôs, hamssa talartirne etc. En passant, on pourrait dire que ce sont mes « idiolectes » c’est-à-dire l’ensemble des usages du langage propre à un individu donné. Les idiolectes permettent de concilier la nécessité de communiquer avec les autres et celle, pour chaque personne, de pouvoir exprimer sa façon particulière d’être et de penser, ses goûts et ses besoins. L’idiolecte peut se manifester par des choix particuliers dans le vocabulaire et la grammaire, par des phrases et des tours particuliers ou particulièrement récurrents, ainsi que par une intonation et une prononciation particulières. Chacune de ces caractéristiques est appelée idiotisme.
PS : Que tout lecteur arabophone du présent billet ne s’offusque point en pensant que je maltraite les mots arabes mais c’est par besoin de compréhension, encore que je ne maitrise pas l’écriture arabe. Bon on se dit à bientôt ! Maa Salarma…