Qu’est-ce qu’un apprentissage autodirigé ?

En 1975, Knowles définit l’apprentissage autodirigé ou l’autodirection comme « un processus dans lequel les individus prennent l’initiative, avec ou sans l’aide d’autrui, de déterminer leurs besoins de formation, de recenser les ressources humaines et matérielles nécessaires à la formation, de sélectionner et de mettre en œuvre les stratégies de formation adéquates, d’évaluer les résultats de leur formation » (Knowles, 1975, p. 18). Cela sous-tend donc l’auto direction de l’apprenant et la présence de conditions éducatives favorables. Dans cette première partie, nous présenterons respectivement l’autoformation, la motivation et « l’écologie de l’apprenance »[1] en tant que tryptique favorisant les apprentissages puis nous décrirons les aspects essentiels de la « motivation autodéterminée » et des « stratégies efficaces d’autorégulation ».

D’emblée, l’autoformation, un « phénomène social total » (Dumazedier). C’est une formation de soi par soi, chez soi, dans un système éducatif, dans des groupes sociaux, ou autres[2]. Cela est abordé aujourd’hui selon cinq problématiques principales formant la « galaxie de l’autoformation » (Carré,1996) : l’autoformation intégrale ou autodidaxie, l’autoformation existentielle (apprendre à être), l’autoformation sociale (apprendre dans et par le groupe social), l’autoformation éducative et l’autoformation cognitive (apprendre à apprendre). Depuis la définition donnée par Knowles en 1975, l’autoformation est devenue, à partir des années 2000, une pratique permanente avec de nouvelles visées culturelles, plus diversifiées et plus complexes, mais qui s’étend à un plus grand nombre de sujets sociaux apprenants (Dumazedier, 2002).

Nous évoluons donc d’une société pédagogique à une société éducative avec la formation tout au long de la vie, ou plutôt à une « société de l’apprenance[3] » (Carré,2005) c’est-à-dire « l’autoformation tout au long de la vie et à tous les âges de la vie ». En effet, Philippe Carré nous invite à interroger, d’un point de vue analytique, le rapport des personnes au savoir, et à réformer, d’un point de vue pratique, notre représentation de la formation. Cette capacité à diriger soi-même sa formation et ses apprentissages, comme susmentionné, ne dépend pas seulement de soi (individuel) mais aussi des autres ou de l’environnement (collective). Un apprentissage autodirigé nécessite donc une motivation autodéterminée (1) et la mise en œuvre de stratégies d’autorégulations (2) efficaces.

L’importance de la motivation dans une formation à distance.

D’une part, concernant la motivation, elle repose sur trois besoins psychologiques fondamentaux présent en tout être humain : le besoin de compétence, d’autonomie et d’appartenance sociale (Deci et Ryan, 1985 ; P. Carré, 2010). Celui de compétence, dans le domaine de la formation, peut se traduire par une « perception d’efficacité personnelle » c’est-à-dire le jugement qu’on a sur nos propres capacités à réaliser une action. En effet, certains individus peuvent naturellement être motivés, curieux et actifs tandis que d’autres peuvent être aliénés, passifs, démotivés ou amotivés en fonction de leur environnement (Bandura, 2003).

L’environnement social permet de stimuler ou d’optimiser le dynamisme interne ou la motivation d’un individu par rapport à un autre. C’est dans cette lignée qu’a été élaborée la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan,  2000: Ryan et  Deci,  2000) qui distingue la « motivation autonome » et la « motivation contrôlée ». La première, qui intègre la motivation intrinsèque, implique que l’individu agit en ayant pleinement le sentiment d’un libre choix (autonomie).

L’apprenant ici apprend par plaisir et trouve que l’activité d’apprentissage lui apporte une satisfaction ou gratification « personnelle ». Or La motivation contrôlée ou extrinsèque[4] suppose que l’apprenant agit plutôt sous l’influence de pressions et de forces qui lui sont extérieures. Ces forces sont « positives »[5] lorsqu’elles concourent à la satisfaction des trois besoins fondamentaux susmentionnés mais « négatives » dans le cas contraire.

D’autre part, pour ce qui est de l’autorégulation, il s’agit du « contrôle exercé par l’apprenant sur ses propres démarches cognitives, c’est-à-dire sur la manière dont il anticipe et élabore des stratégies, les évalue et les ajuste en fonction des résultats obtenus afin de mener à bien ses apprentissages » (Jézégou, 2011). Zimmerman (2002) décline l’autorégulation en trois formes triadiques : l’autorégulation interne, c’est à dire le contrôle exercé par l’apprenant sur ses états affectifs, cognitifs et motivationnels; l’autorégulation comportementale qui porte sur la manière d’apprendre et enfin l’autorégulation environnementale qui renvoie au contrôle exercé par l’apprenant sur les composantes de son environnement éducatif.

Ces trois formes de régulation sont en interaction avec des déterminants personnels (P), Environnementaux (E) et Comportementaux tels que démontrés par Bandura (1986). Ils supposent de la part de l’apprenant qu’il élabore des buts d’apprentissages[6] et qu’il croit en son efficacité personnelle à atteindre ce but.  Ce sentiment d’efficacité personnelle dépend principalement des performances extérieures car les victoires du passé augmentent la confiance en soi à pouvoir relever ceux du futur.

Après ce survol panoramique et évolutif des méthodes et modèles d’apprentissage autodirigés, nous nous pencherons désormais sur les conditions favorables à l’autodirection.

Les composantes pour un parcours d’apprentissage individualisé

Il s’agit, entre autres, d’individualiser la formation dans un environnement pédagogique médiatisé, de mettre en place un environnement ouvert et de pouvoir créer de la présence à distance. Nous présenterons respectivement les usages et pratiques autour de chacune de ces conditions.

La formation individualisée.

Malgré les efforts de vulgarisation de la recherche menés par la communauté scientifique du domaine depuis plus  de  dix  ans, il  existe  toujours  une  confusion  dans  les  esprits entre « individualisation » et « autoformation ». Prévost (1994), simplifie cela sous deux axes de différentiation : une « individualisation de type institutionnel » et une autre à « visée autonomisante ». La première, dont la situation d’apprentissage dominante est l’autoformation, est un système de  formation  rigide,  fortement  hétérostructuré  et contrôlé  par  l’institution,  qui ferme  à  l’apprenant  toute  perspective  de  prise  en  charge  de  sa formation.

Cela répond le plus souvent à une logique de formation « sur mesure » avec pour objectif principal la rationalité et la rentabilité. La seconde, l’individualisation à visée autonomisante, par contre, est plus flexible et prend en charge les dynamiques individuelles et singulières de l’apprenant sur sa formation et ses apprentissages. On s’inscrit ici dans une démarche centrée non plus sur l’activité de l’institution de formation mais sur l’activité de l’apprenant avec une redistribution et un partage des temps de formation. L’apprenant ici est co-constructeur de son parcours et situation d’apprentissage. Le degré de liberté de choix ouvert à l’apprenant constitue donc la différence fondamentale entre une individualisation de type institutionnel et celle à visée autonomisante.

Une formation individualisée est donc celle-là qui est flexible, reconnaît et prend en compte cette singularité du sujet apprenant. C’est le degré de libertés de choix ouvert à l’apprenant qui constitue le véritable enjeu de la recherche de flexibilité en formation (Jézégou, 2002). Ces libertés se définissent au terme d’une négociation entre l’institution   éducative   et   l’apprenant, chacun   disposant   de   ses   propres   ressources   et contraintes (Jézégou, 2005). La souplesse du cadre organisationnel du parcours de formation et des environnements d’apprentissage permet d’optimiser les possibilités de choix auprès de l’apprenant.

C’est pour optimiser ces possibilités de choix qu’intervient la modularisation dans la conception d’une formation individualisée. Elle permet de structurer des parcours qui tiennent compte à la fois des objectifs de formation et des acquis de l’apprenant ; de définir un parcours complémentaire et de reconnaître des acquis à l’issue d’une étape de parcours. Le module ainsi constitue une entité autonome visant la maîtrise d’une situation d’apprentissage bien précise. Sa mise en œuvre implique la conception et la réalisation de séquences pédagogiques dans une ingénierie globale.

L’ouverture en formation

L’ouverture en formation renvoie à un  « ensemble  de  dispositifs  flexibles  et autonomisants dont la principale propriété est d’ouvrir à l’apprenant des libertés de  choix  pour  qu’il  puisse  exercer  un  contrôle  sur  sa  formation  et  sur  ses apprentissages »  (Jézégou, 2005). Un environnement est dit ouvert lorsqu’il permet aux personnes d’accéder à la formation en fonction de leurs disponibilités et à distance grâce aux outils TIC ou encore d’être individualisé. Cependant, comment peut-on caractériser et évaluer le degré d’ouverture d’un dispositif de formation ?

C’est pour répondre à cette question que Annie Jézégou (2009) a construit une Grille d’Évaluation de  l’Ouverture  D’un  Environnement éducatif (GEODE). Ce dispositif présente  une  liste  de  quatorze composantes susceptibles d’ouvrir à l’apprenant  des  libertés  de  choix. Il s’agit donc de : l’accès, le lieu, le temps, le rythme, les objectifs, le cheminement, la séquence, les méthodes, le format, les contenus, l’évaluation, les supports, les outils de communication et les personnes ressources. Toutefois la mise en place de ces composantes ne garantit pas automatiquement l’auto-direction. Il ne s’agit que d’une « condition organisationnelle et pédagogique » qui contribue à créer un environnement favorable à l’apprentissage autodirigé.

Selon le paradigme sociocognitif (Bandura, 1999), l’ouverture en formation suppose un environnement « choisi » ou « construit ». Un environnement « choisi » dans la mesure où l’apprenant à une liberté de choix quant à plusieurs options possibles ; et « construit » puisqu’il est acteur dans la conception de son parcours d’apprentissage[7].

Comment être présent à distance?

La présence dans une formation favorise la construction individuelle et collective de connaissances. La distance, quant à elle, peut-être géographique, temporelle, sociale, culturelle ou linguistique, etc. Cependant comment créer cette présence à distance ? Elle se crée à travers les différentes formes d’interactions sociales entre des apprenants ou entre le formateur et des apprenants dans une démarche de collaboration à distance. Cette présente peut ainsi être socio-cognitive, socio-affective ou pédagogique.

D’une part, la présence socio-cognitive est le fruit des interactions sociales au sein d’une communauté d’apprentissage en ligne. Ici des apprenants, quoiqu’éloignés géographiquement, se rencontrent, se regroupent afin de négocier, délibérer ou résoudre une situation problématique en collaborant ensemble à distance via une plateforme ou des outils et services numériques du web (Jézégou, 2010).  Ce regroupement peut être spontané ou incité par le formateur. Ainsi les enseignants de Lille incitent les étudiants du Master 2 IPM à créer une présence sociocognitive au sein de la plateforme CUEEP à travers les travaux de groupe où chacun est amené à confronter son point de vue, négocier, collaborer puis délibérer afin de produire un travail collectif.

Au cours des négociations ou confrontations, des frictions peuvent se créer. D’où l’importance d’un savoir être dans la formation à distance. Le respect mutuel, l’attention, l’écoute active, l’empathie, les encouragements et l’entraide sont ainsi quelques marqueurs d’une présence socio-affective dans un travail collaboratif à distance. (Charlier, Deschryver et Daele, 2002; Dillenbourg et al., 2003; Henri et Lundgren-Cayrol, 2003) Une bonne présence pédagogique, c’est-à-dire qu’une bonne médiation ou facilitation du formateur peut permettre d’anticiper, de résoudre ou créer un climat favorable à l’épanouissement socio-affectif des apprenants.

Enfin la présence pédagogique renvoie aux trois principaux rôles du formateur vis-à-vis des apprenants. Savoir et pouvoir collaborer à distance n’est point un acquis ou un processus naturel, le formateur peut donc aider les apprenants à acquérir ces habilités (méta)cognitives et les compétences nécessaires à la collaboration (Bourgeois, 1999 ; Bourgeois et Nizet, 1997; Darnon, Butera et Mugny, 2008). Ce faisant, il crée donc une présence pédagogique qui peut revêtir trois formes : coordination, animation et modération (Henri et Lundgren-Cayrol, 2003).

Le formateur est « coordonnateur » lorsqu’il conseille le groupe d’apprenants pour qu’ils définissent un cadre commun de travail et organise les activités à mener tout en favorisant les échanges entre les apprenants du groupe. Il doit cependant veiller à ne pas dicter ou imposer des règles très rigoureuses ou encore veiller à ce que le groupe ne s’impose pas lui-même des règles de fonctionnement trop rigides. En tant qu’animateur, le formateur encourage ou apporte un soutien dans les transactions entre les apprenants, tout en se positionnant comme personne-ressource. La modération consiste pour le formateur à réguler, si besoin, la façon dont les apprenants interagissent à distance avec pour visée d’éviter les tensions socioaffectives.

Ainsi la présence pédagogique peut et doit soutenir les deux autres dimensions de la présence. Toutefois, elle peut se manifester, de façon indépendante, au sein d’un espace numérique de communication.

 

Références:

[1] Carré, P. (2005) L’apprenance : Vers un nouveau rapport au savoir. p. 189. Paris : Dunod.

[2] Le GRAF (Groupe de recherche sur l’autoformation en France) a donné cette définition approchante.

[3] Qu’il définit comme un « ensemble de dispositions favorables à l’acte d’apprendre dans toutes les situations, qu’elles soient formelles ou non, expériencielles ou didactiques, autodirigées ou dirigées, intentionnelles ou fortuites ». Carré, P. (2005) L’apprenance : Vers un nouveau rapport au savoir. p. 21. Paris : Dunod.

[4] On distingue quatre types de motivation extrinsèque : la motivation à régulation intégrée, à régulation identifiée, à régulation introjectée et à régulation externe

[5] Annie Jézégou, La théorie de l’autodétermination : aspects fondamentaux, Document de cours SEFA, Dec. 2015

[6] Cela renvoie encore à la perception du futur chez Bandura. C’est-à-dire que le degré et l’intensité de la motivation chez un apprenant peut être influencé par la perception qu’il a de la valeur ou des bénéfices qu’il pourra tiré au terme de l’activité d’apprentissage ou de sa formation.

[7] Comme nous l’avons relevé plus haut, la démarche d’individualisation à visée autonomisante, rejoint la configuration d’un dispositif « ouvert » . On offre à l’apprenant des libertés de choix pour structurer son apprentissage. Cela dans un cadre négocié en fonction des ressources et contraintes en présence.