« Qui fait ça ? Faut pas fasser hein, nous s’amuser », ça c’est une phrase en nouchi.

Le nouchi est un argot populaire créé et parlé en Côte d’Ivoire, pays situé en Afrique de l’Ouest. C’est l’un des pays d’Afrique linguistiquement hétérogène où aucune de ses langues locales ne sert de moyen de communication interethnique.

Dans ce contexte de plurilinguisme, le nouchi, désormais pratiqué par toutes les couches sociales et professionnelles, apparaît être sur le bon chemin d’avoir le statut de langue nationale un jour.

Mais avant d’explorer cette possibilité, il est important d’analyser les facteurs ayant contribué à la popularité du nouchi et comment cette langue est parvenue à s’imposer dans un pays linguistiquement hétérogène ? Peut-il devenir une langue nationale ?

Origine et étymologie du Nouchi

Le nouchi a été créé vers la fin des années 70 et au début années 80 dans les rues d’Abidjan, capitale économique de Côte d’Ivoire, par des citadins mal scolarisés ou délinquants, ne maîtrisant pas bien le français.Le mot « nouchi » tirerait son origine du Dioula, langue locale utilisée majoritairement dans le commerce.

Il est composé de « nou », qui veut dire “nez” et de « chi » qui signifie “poils“, et donc “poils de nez” ou « moustache » pour désigner le méchant, à qui tout le monde voulait ressembler dans les westerns de ces temps. Un « nouchi », c’est un homme fort, craint de tous et qui n’a peur de rien ni de personne.

Le nouchi est apparu sous la forme d’une langue hybride, constituée d’un mélange de langues étrangères (français, anglais, espagnol) et de langues locales, notamment le dioula, le bété, le baoulé, etc., de langues africaines et surtout des mots inventés par les locuteurs eux-mêmes. Il était utilisé dans les marchés, gares et rues avant d’être transporté dans la plupart des couches sociales. De langue de rue, le nouchi est devenu le moyen de communication interethnique par excellence de Côte    d’Ivoire.

Le nouchi : langue véhiculaire de Côte d’Ivoire

Selon Louis-Jean Calvet, une langue véhiculaire est « une langue utilisée pour la communication entre des groupes qui n’ont pas la même première langue » (Calvet, 1993, p. 40)[1]. Suivant cette définition, le nouchi peut être qualifié de langue véhiculaire. En effet, le nouchi est parlé en ville, dans les villages et dans la diaspora. Il est présent dans les lycées et universités, par tous les groupes ethniques et de toutes les classes sociales et professionnelles.

C’est la langue d’unification des peuples de Côte d’Ivoire en raison de l’absence d’une langue locale imposante. C’est le point de rencontre de différentes langues locales ivoiriennes, notamment le dioula, le baoulé et le bété mais aussi africaines.

Bien que n’étant pas une langue nationale, c’est celle qui identifie les Ivoiriens au niveau international. Le terme « nouchi » renvoie automatiquement à la Côte d’Ivoire et représente un emblème linguistique pour la Côte d’Ivoire.

Vocabulaire en Nouchi

Il existe un dictionnaire en ligne du nouchi dans lequel les mots s’actualisent quotidiennement. Ci-dessous, quelques exemples de mots et phrases en nouchi :

*Mots en nouchi

  • boucantier : personne frimant avec des marques de luxe   
  • couper : voler, escroquer
  • faroter : frimer
  • dêmin-dêmin : se débrouiller
  • gbô : manger
  • kpata, zooh: joli(e), élégant(e)
  • kpé, lalé : téléphone portable.
  • gbata, piol, piss: maison, habitat
  • goumin-goumin : chagrin d’amour
  • fraya: fuir, partir
  • dédja: ouvrir
  • dèbè: tomber
  • je suis piqué : je n’ai plus d’argent

Notion d’argent

  • moro : 5 francs CFA                                                  gbèssè : 500 francs CFA
  • grosse : 25 francs CFA                                               bâr : 1 000 francs CFA
  • sogban : 75 francs CFA                                             gbonhon ou key : 5 000 FCFA
  • togo: 100 francs CFA                                                 diez : 10 000 francs CFA
  • mambi: 100 franc CFA                                    une brique : un million de francs CFA

1. Phrases composées de mots d’origine française
– On’ê calé issi.                              “On est installé ici”

2. Phrases marquées par un mot d’origine anglaise
– Il’ê daï (die).                                 “Il est tout ivre”

3. Phrases marquées par un mot d’origine espagnole
1- Il’ê calé à la pisso(piso).           “Il est à la maison.”

4. Les phrases marquées par un mot d’origine dioula  
1- Ton môgôê là !                           “Ton ami est là !”

Niveau de pénétration du nouchi dans la communication en Côte d’Ivoire

Le nouchi est présent dans les conversations domestiques, la comédie populaire, la musique, la presse, et même dans les débats et réunions politiques.

Au niveau des médias, le nouchi est utilisé sur les chaînes de radios, notamment sur Radio nationale et Fréquence 2 ainsi qu’une centaine de chaînes privées réparties dans toutes les villes et communes aux émissions « After work » sur Radio Nostalgie, « Djassa FM » sur Fréquence.

Il est aussi utilisé sur les chaînes de télévision nationales (RTI 1, RTI 2 et RTI Bouaké) qui, en dehors de RTI Bouaké, émettent sur toute l’étendue du territoire et certaines chaînes privées depuis Abidjan. Ainsi, des émissions comme « On se dit les gbê », « On se djô », « kpakpato, dernier cri », « les dabali de chez nous », « kpakpato pressé » etc. sont diffusées en nouchi.

Concernant la presse écrite, les premiers articles sur le nouchi ont été publiés le 06 septembre 1986 dans le journal Fraternité Matin par les journalistes Alain Coulibaly et Bernard Ahua sous le titre « Le nouchi, un langage à la mode ». Dès lors, la presse écrite s’est engagée à promouvoir cette forme d’expression à la mode.

Aujourd’hui, certains journaux, pour séduire, ont adopté le nouchi comme langue d’écriture. C’est le cas du quotidien L’Intelligent d’Abidjan dont les pages de couverture affichait ce titre : « NON à des élections koutcha et wouya-wouya » où « Koutcha » et « wouya-wouya », deux termes malinké, se traduisent respectivement par « truquées » et « chose sans importance » comme pour dire : « NON à des élections truquées et sans importance ». Plusieurs autres journaux et magazines l’utilisent aussi.

Le nouchi est beaucoup utilisé dans la musique. Tous les musiciens ivoiriens et même ceux de l’extérieur créent des chansons en nouchi. Au cours des trois dernières décennies, des vecteurs musicaux tels que les chansons de zouglou, de rap, de reggae, de coupée-décalée avec des artistes chanteurs comme Alpha Blondy, Ismaël Isaac, Tiken Djah, Yodé et Siro, Petit Denis, le groupe Magic Système, Nash, Dj Arafat pour ne citer que quelques-uns, ont contribué à la diffusion de cette langue de rue et de son lexique dans tout le pays.

Le cinéma ivoirien est également fortement emballé par le nouchi. Les scenarii étant écrits pour relater le vécu des populations, ils ne peuvent se déployer qu’avec la langue populaire , qu’est le nouchi. Ainsi, les acteurs des sketches, des gags et des films s’expriment en nouchi. Les séries « Faut pas fâcher », « Comment ça va », « Sicoboi », les émissions publiques enregistrées comme « Bonjour », les bandes dessinées « Koffi Gombo », « Aya de Yopougon » et même les films ivoiriens classiques comme « Invisibles », « Ma famille » etc. sont des espaces de déploiement du nouchi.

Au niveau publicitaire, les compagnies de téléphonies mobiles et les brasseries ivoiriennes ne sont pas en reste. Leurs messages en nouchi sont conçus généralement pour attirer à la consommation et l’adhésion des jeunes qui constituent un public potentiel. Les affiches publicitaires ci-dessous d’une société de brasserie et d’une compagnie de téléphonie mobile avec les inscriptions « Authentique comme les vieux pères d’ici », « Connaisseur connait ! » et « Sos crédit, quand y’ a drap #170# te soutra » le confirment.

 Les avantages du nouchi comme langue nationale

Les Ivoiriens aspirent avoir une langue nationale tout comme certains de leurs pays voisins africains. Tous sont unanimes sur le fait que le nouchi représente l’identité ivoirienne. Le nouchi, ayant les caractéristiques suivantes, est bien placé pour avoir le statut de langue nationale, notamment :

  • Une langue typiquement et véritablement ivoirienne ;
  • Une langue comprise et parlée par l’ensemble des Ivoiriens ;
  • Une langue qui rassemble les Ivoiriens, car c’est la synthèse de plusieurs langues locales

 Conclusion

Le nouchi, français populaire ivoirien, s’est facilement répandu sur le territoire en raison de sa fonction véhiculaire. Cette langue est conservatrice de l’identité et la culture ivoirienne. Nous avons montré comment le nouchi, argot de jeunes de classe sociale basse, a émergé pour devenir la langue d’une nation. Même les personnalités politiques ivoiriennes l’utilisent pour mieux se faire comprendre, le nouchi dépasse même les frontières ivoiriennes, car les populations des pays de la sous-région ouest-africaine l’utilisent aussi. Aussi, représente-t-il le pays à l’international.

C’est une langue reconnue par les grandes organisations de défense linguistique et culturelle comme la francophonie et l’UNESCO. D’où, en plus du mot nouchi « s’enjailler », inscrit dans le dictionnaire français lors des jeux de la francophonie à Abidjan en 2017, le mot « boucantier » figure désormais dans le “Petit Larousse illustré-2020”. De quoi la Côte d’Ivoire peut être fière. La fonction véhiculaire du nouchi devrait attirer l’attention des décideurs ivoiriens sur son adoption comme langue nationale.

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