De mémoire, je ne connais que l’Afrique du Sud et le Sénégal qui disposent d’hôpitaux traditionnels reconnus et intégrés au sein du système médical. Celui de Keur Massar, crée en 1980 par la biologiste française Yvette Parès après avoir été initiée par le maître peul Dadi Diallo. L’hôpital traditionnel de Keur Massar a redonné à la médecine traditionnelle africaine ses lettres de noblesse, fut la première de ce genre au Sénégal et peut-être au monde. Aujourd’hui, cette structure est d’une très grande utilité dans le soin des maladies locales comme les tuberculoses, les hépatites, les paludismes, les dermatoses et même le… SIDA (C’est pas moi qui le dit oh, c’est sur leur site ^_^)

Des plaidoyers sans retours…

A contrario, au Cameroun, les tradipraticiens, bien que jouissant d’un statut légal à travers les associations des tradipraticiens de santé, ont un manque de visibilité et de soutien étatique. L’État a créé de grands « hôpitaux modernes » où des médecins officient dans des bureaux (parfois climatisés) alors que nos tradipraticiens s’époumonent dans les marchés et les places publiques pour écouler leurs produits. Seuls quelques-uns, parmi lesquels le Dr. Dewah, ont réussi à échapper à cette situation précaire et militent aujourd’hui pour la reconnaissance, la promotion et l’expansion de la tradithérapie en Afrique. C’est aussi le cas pour le Docteur béninois ERICK V. A. GBODOSSOU qui a crée en 1971 à Dakar une ONG spécialisée dans la promotion, la restauration et la conservation de la médecine traditionnelle: PROMETRA. Dans son livre Éthique, science et développement, il milite pour une symbiose entre les deux médecines ou plus de respect envers la médecine traditionnelle:

« En matière de sciences nous avons rien à envier au Nord »

Au Cameroun, la plupart des tradipraticiens ont des entreprises ambulantes. Leur bureau est le plus souvent le marché ou les agences de voyage de train ou de transport inter-urbain. Leur capital ou « fonds de commerce » réside dans une mallette (pour les plus nantis) ou un simple plastique à l’intérieur duquel vous retrouverez des plantes, des poudres et des décoctions aux vertus thérapeutiques incalculables. Qui d’entre nous n’a pas encore été assailli lors d’un voyage Douala-Yaoundé par ces tradipraticiens qui usent de la puissance de leur verbe pour nous amener à acheter leur produit ? Et comme, les camerounais sont des « Thomas », qui aiment voir avant d’accepter, ce n’est qu’après avoir gouté ou écouté les retours (témoignages) positifs des anciens clients (patients) qu’ils se décident à débourser la modique somme de 500 FCFA (ou +) pour acheter le produit. S’il n’est pas suffisamment éloquent, persuasif et comique, il peut même arriver qu’il ne vende rien et descende au terminus bredouille.

Leur service après-vente (SAV) se fait par deux canaux : en présentiel ou à distance. Le mode SAV en présentiel est pour ceux qui possèdent des centres de distribution dans les grandes métropoles et le mode SAV en ligne pour ceux qui n’en ont pas ou les deux. Tel est le cas pour le Docteur Aboubacar dont l’ingéniosité l’a amené à se servir des opportunités du numérique pour promouvoir ses produits et maintenir le contact avec ses clients. Je vous laisse découvrir une des posologies de ses médicaments visible sur son blog :

Promotion du médicament "Bouba 3" d'un guérisseur traditionnel © Christian Elongue
Promotion du médicament “Bouba 3” d’un guérisseur traditionnel © Christian Elongue

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Comme vous pouvez très bien vous en rendre compte, il s’agit d’un tradipraticien « très polyvalent » dont le champ de compétence est très vaste. Son médicament nommé « Bouba 3 » à lui seul serait capable de soigner 32 MALADIES de « l’absence de règles à la malédiction et la malchance ». 32 ici n’est qu’une estimation et les vertus de « BOUBA 3 » pourraient aller au-delà puisque l’on retrouve le mot et cetera : « [Les MST (syphilis, chaude pisse, clamédia etc…)

Et ce n’est pas tout… !!! Dr Bouba vous assure également que son produit est efficace contre les problèmes coutumiers notamment les cas de « lavage, blindage contre la sorcellerie, poison de nuit et de jour… ». Je reconnais que seuls les camerounais pourraient connaitre les référents de la plupart de ces maladies. Un ami ivoirien à la vue des différentes maladies prises en charge par le produit « BOUBA 3 » n’a pu s’empêcher de s’exclamer :

« Yes papa ! Le produit là est puissant dèh ! Ton Dr. Bouba là est un magicien ou quoi ? »

Moi-même je ne puis lui répondre, certains parleraient de charlatanisme… C’est en tout cas ce qui ressort des propos du professeur Ouba H. Razakou, Délégué National du groupe d’initiative commune de guérisseurs de la médecine traditionnelle africaine du Cameroun, lors de la 10ème journée Africaine de la médecine traditionnelle : « […] le secteur est miné par bons nombre de faux médecins, et d’hommes aux multiples casquettes. C’est la raison pour laquelle ce genre de célébrations est organisé pour démasquer et nettoyer les brebis galeuses qui minent notre activité et travaillent à nous décrédibiliser”

ET TOI COMMENT CONSIDÈRE TU CETTE AFFICHE SUR LES VERTUS DU PRODUIT « BOUBA 3 » ?

QUE PENSE TU DE LA PLACE DE LA « MÉDECINE TRADITIONNELLE » AU CAMEROUN ?

       Quant à moi j’estime que l’importance de la médecine « traditionnelle » africaine n’est plus à démontrée. Elle est un héritage commun et jusqu’à ce jour le plus accessible étant donné qu’en Afrique, 80% de la population recoure aux services des « guérisseurs traditionnels » régulièrement. Ces derniers ont la réputation d’être capables de prédire la cause d’une maladie et les problèmes sociaux d’une personne. Beaucoup d’entre eux ont des connaissances très approfondies sur les matières végétales et leur puissances curatives. Ils utilisent des graines, tiges, écorces, racines et feuilles pour traiter les symptômes et la plupart sont à la fois herbalistes et devins.

Un pont entre la santé et les traditions

Contrairement aux médecins qui ont des « formations en sciences occidentales » et se concentrent sur les causes biomédicales des maladies, eux par contre adoptent une approche beaucoup plus holistique de la vie qui maintient un équilibre entre l’esprit, le corps et notre environnement. Il se concentre donc plus sur l’état général du patient que sur la douleur ou la maladie. C’est pourquoi je pense que la « médecine traditionnelle est un modèle de comportement pour l’homme ». Ses effets positifs sont plus durables et elle est plus respectueuse de l’environnement que la médecine « conventionnelle » dont les produits biochimiques intoxiquent nos organismes et les rendent dépendant. C’est d’ailleurs le principal mode de traitement des pygmées dans le Sud du Cameroun

Leur accessibilité…

      L’accès au médicament demeure un grand problème en Afrique et pire encore au Cameroun, la « médecine traditionnelle » est donc populaire parce qu’elle est disponible et à la portée de toutes les bourses. Un paysan des zones rurales ou enclavées ne dispose point de pharmacie. La majorité des zones rurales et péri-urbaines camerounaises ne disposent point de « pharmacies » ou de centre de santé adéquat et suffisant pour les populations locales. La situation est plus terrible et inquiétante dans la partie septentrionale du pays où les couts médicaux élevés ne permettent pas non plus aux pauvres d’avoir accès aux services de soins de santé.  Les gens alors préfèrent les guérisseurs traditionnels qui ne demandent pas toujours l’argent liquide immédiatement et sont beaucoup plus nombreux que les médecins.  Ils consultent les guérisseurs traditionnels peu importe qu’ils sont capables de payer pour les services médicaux ou non.

Des sources d’informations sur la santé et le traitement des populations

           Les guérisseurs traditionnels sont très importants lorsqu’il s’agit de développer de nouveaux médicaments, de donner des rapports sur de nouveaux cas de maladies contagieuses et trouver les moyens de garantir que les malades continuent à prendre des médicaments prescrits. Le ministère de la santé en sud-africain a mis sur pied un Conseil intérimaire des praticiens de la santé traditionnelle pour développer et gérer les connaissances des médicaments traditionnels africains ; et vise à moyen terme à publier un cadre pour la réglementation des médicaments traditionnels africains à l’horizon 2019.

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Nhamburo Masango, guérisseur traditionnel du Zimbabwe, entouré d’herbes, d’os et d’autres remèdes

Le schéma est très différent au niveau du Cameroun où la coopération entre les tradipraticiens et les médecins est purement formelle et officielle. La situation sur le terrain contraste énormément avec les textes et législations. Les guérisseurs traditionnels sont victimes d’un déni de reconnaissance et du mépris de certains médecins qui les qualifient de « charlatans » ou de « marabouts » (au sens camerounais du terme !).

      S’il est vrai de sérieuses complications résultent de l’utilisation des médicaments traditionnels, cela est aussi en partie due à l’inaction du gouvernement qui n’a pas suffisamment pris des mesures pour la réglementations et l’institutionnalisation des pratiques et praticiens de la « médecine traditionnelle » ; qui devient de plus en plus la « Cour du Roi Pétaud », un terrain où tout le monde peut s’installer sans pour autant avoir les qualifications professionnelles requises. Au Cameroun, il n’est pas rare de voir des individus changer de statut du jour au lendemain : ils passent du métier de « chômeur » à celui de « tradipraticien ». L’association en charge de la réglementation n’étant pas suffisamment étanche et rigoureuse dans la sélection. Pour éviter ces complications et autres dérives, le gouvernement camerounais devrait encourager et intensifier la recherche sur les médicaments traditionnels avant leur utilisation. Sinon l’on continuera à retrouver de pareilles posologies comme celle de notre « Très cher et Honorable Dr Aboubakar ».

       Je ne pourrais, dans un billet, épuisé les arguments sur l’importance des « guérisseurs traditionnels » dans nos systèmes de santé, j’y reviendrai dans un prochain billet. Toutefois, si la médecine dite « conventionnelle » est étrangère et détachée de nos réalités, nos croyances et systèmes de soins traditionnels, c’est à nous que revient la tache de valoriser nos propres méthodes de soins. Cette valorisation est d’abord terminologique : qu’on arrête de qualifier notre médecine de « traditionnelle » et qu’on passe de l’expression : médecine traditionnelle africaine à médecine africaine. Nous sommes les seuls à procéder ainsi car les Chinois n’appellent point acupuncture de traditionnel mais de médecine chinoise.

Pour conclure, permets-moi de te laisser en compagnie de cette réflexion de l’anthropologue de la santé béninois Roch Houngnihin:

 «Aujourd’hui en Afrique, la médecine traditionnelle n’est pas une alternative à la médecine conventionnelle. Elle constitue la principale source de soins médicaux face aux besoins croissants de la population et aux nombreux défis auxquels les systèmes de santé sont confrontés et qui se caractérisent par la faible performance des services préventifs et curatifs, le coût élevé des prestations dans les établissements hospitaliers, la forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur en matière d’approvisionnement en médicaments essentiels, l’insuffisance du personnel, les pesanteurs socioculturelles relatives à la perception, la prise en charge et la prévention des maladies, etc

N’y a-t-il donc pas à craindre la disparition de la médecine traditionnelle devant l’ampleur de la déforestation en ville  ?”

Cet article est ma contribution dans le cadre de la campagne #SantéPourTous initiée par les blogueurs camerounais. Pour participer à cette campagne, vous pouvez suivre le hashtag #SantépourTous sur les réseaux sociaux, et partager les articles publiés dans le cadre de la campagne. Vous pouvez également (re)lire et partager les articles publiés avant celui-ci :

Le médecin n’est pas un faiseur de miracle (Fotso Fonkam)

VIH SIDA : comment vivre longtemps avec le virus ? (Thierry Didier Kuicheu)

Les hôpitaux camerounais sont des malades très mal soignés (Fabrice Nouanga)

VIH-SIDA : la nécessaire éducation (Christian Cédric)

Pourquoi l’argent est-il la priorité dans les hôpitaux au Cameroun ?(Tchakounté kémayou)

 

Le suivant sera de #Mireille Flore Chandeup et portera sur : la prise en charge des femmes enceintes jusqu’à l’accouchement. Ne le ratez surtout pas !!! (^_^)

Crédit photo de couverture: scidev.net