Une conférence pour disséquer le film de Fabrice Eboue a eu lieu à l’Université de Dschang le 15 avril 2015

«Fabrice Eboue propose un rire réflexif sur les crises postcoloniales à travers les tendances de la postcolonie». Le Prof. Alain Cyr Pangop Kameni est arrivé à cette conclusion, à l’issue de la conférence organisée par le club bilingue de l’Université de Dschang, le 15 avril 2015 à la salle des conférences et des spectacles de l’institution. Le thème: «Le Crocrodile du Botwanga ou rire des crises postcoloniale. Outre ce spécialiste de la critique littéraire et cinématographique, le Dr Yves-Abel Feze, critique littéraire lui aussi, a siégé dans le panel. David Wateu, étudiant de Master I en Études italiennes, a modéré les échanges.

Pour opérer leur démonstration, les deux communicateurs de cette conférence ont analysé à partir d’angles différents, mais complémentaires. Le Dr Yves-Abel Feze a fait «une lecture postcoloniale» du film proposé par le réalisateur d’origine camerounaise. Pour lui, le Crocrodile de Botwanga se situe entre le «commandement postcolonial» et les crises de la race. Le film déconstruit le potentat postcolonial «qui devient un objet risible».

 

© West-Cameroon Regional News Agency / Hindrich Assongo
Le président du club bilingue, NGNAOUSSI ELONGUE ouvre la conférence

«Fabrice Eboue propose un rire réflexif sur les crises postcoloniales à travers les tendances de la postcolonie». Le Prof. Alain Cyr Pangop Kameni est arrivé à cette conclusion, à l’issue de la conférence organisée par le club bilingue de l’Université de Dschang, le 15 avril 2015 à la salle des conférences et des spectacles de l’institution. Le thème: «Le Crocrodile du Botwanga ou rire des crises postcoloniales». Outre ce spécialiste de la critique littéraire et cinématographique, le Dr Yves-Abel Feze, critique littéraire lui aussi, a siégé dans le panel. David Wateu, étudiant de Master I en Études italiennes, a modéré les échanges.Pour opérer leur démonstration, les deux communicateurs de cette conférence ont analysé à partir d’angles différents, mais complémentaires. Le Dr Yves-Abel Feze a fait «une lecture postcoloniale» du film proposé par le réalisateur d’origine camerounaise. Pour lui, le Crocrodile de Botwanga se situe entre le «commandement postcolonial» et les crises de la race. Le film déconstruit le potentat postcolonial «qui devient un objet risible».

 

© allocine.fr
L’affiche du film “Le crocodile du Botswanga”

Lecture sémiotique
Le Pr Alain Cyr Pangop, en plus du postcolonialisme, a abondamment puisé dans la sémiotique pour proposer sa lecture du «Crocrodile du Botwanga». Pour ce spécialiste des crises postcoloniales africaines, le film est une vaste critique acerbe du pouvoir postcolonial. On peut y voir, entre autres, «le système d’accueil à la fois solennel et banalisé en post-colonie, le sérieux du pouvoir et le grotesque du gouvernement politique, un président paranoïaque comme on en rencontre très souvent sur le continent africain, un président militaire caractérisé par un manque de sérieux qui ne rime normalement pas avec les Hommes de l’armée».Ce manque de sérieux est corroboré par le fait de ne pas savoir le nom de ses enfants. La scène du crocodile où le président Bobo répond à Didier «C’est de l’opposant politique» traduit «une banalisation du régime de terreur en postcolonie». C’est ce qu’Achille Mbembe appelle «le pouvoir carnassier».L’importation des armes qui doivent à tous les prix tuer, la mise en prison du ministre de l’Education nationale pour n’avoir pas su intégrer «les proverbes botwangais» à l’école, tout cela participe de cette «valorisation du sanguinaire» si souvent présent chez les leaders africains au pouvoir. Et dans ce contexte, être ministre ne signifie rien. Car, on peut passer de membre du gouvernement à «ministre des chiottes».

Le Pr Pangop s’est particulièrement appesanti sur le totémisme et la [i «mythologisation» du pouvoir en Afrique, lesquels sont repérables dans cette production cinématographique. «Les crocodiles sont les totems du pouvoir dans ce film», affirme-t-il. Il précise par ailleurs que les crocodiles et les peaux d’animaux ont existé dans l’histoire du continent comme symbole de la puissance.

D’où le nom de la maison de production, «Legend film», dont l’objectif peut être de raconter les légendes africaines. Autre signe du totémisme du pouvoir: la fabrication d’un double au président Bobo. Le fait pour ce président de traiter tout le monde de «phacochère» et de tirer à balles réelles sur un de ses gardes du corps en lieu et place de cet animal dans la partie de chasse rentre dans ce registre.

Egalement enseignant de critique cinématographique à l’Institut des beaux-arts de Foumban, le Prof Pangop a aussi repéré, en ce film, ce qu’il appelle la «folklorisation et l’affairisme du pouvoir en Afrique». « Les pleureuses professionnelles», pas si différentes des danseuses qui accueillent souvent les chefs d’Etat dans les aéroports camerounais participent du premier volet.

Le fait que l’argent circule aussi facilement dans cette production ressort du deuxième terme. Le personnage «Jacques Toccard» qui rappelle les sombres heures de la [ «Françafrique»] est lui aussi enrôlé dans cet affairisme. Sauf que, la France dans ce film est coiffée au poteau par la Chine sur la table des négociations. Le réalisateur, d’après le Pr Pangop, prend ainsi acte de ce que les rapports de force sont en pleine mutation sur le continent.

 

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De la droite vers la gauche – Le Dr Yves-Abel Feze et le Pr Alain Cyr Pangop Kameni

Procès de l’identité
Au cœur de ce film, il y a les questions d’identité. D’abord les Kala kala, l’ethnie ennemie. Et le Pr Pangop de préciser que «le pouvoir postcolonial a hérité de la désignation de l’autre sous la figure de l’ennemi». Leslie Gonda dont l’identité constitue la trame du film est de cette ethnie. Il est toléré parce que son talent de footballeur peut permettre au président Bobo d’instrumentaliser le football, tout en se rapprochant des Kala Kala.L’identité sexuelle est aussi au menu. Dans le débat en cours en Afrique sur l’homosexualité, le réalisateur semble s’être positionné en choisissant d’en être contre. Il y a enfin l’identité de la femme, toujours au second plan en Afrique. Pour le Pr Pangop, le fait pour «Jacqueline» d’arracher le microphone au président «Bobo» lors d’un discours veut dire qu’il y a sur le continent, la montée en puissance d’une remise en cause de la phallocratie. Sa coiffure rappelle par ailleurs «une Première dame bien connue». Tout cela fait dire au scientifique que le «Crocrodile du Botswanga montre un déracinement culturel chez les uns et l’entre-deux identitaire chez les autres».

En dernier ressort, il y a la question des symboles. Le drapeau du Botswanga renvoie selon l’universitaire à un pays d’Afrique australe. Quant à la devise, son caractère trilogique correspond à ce qu’on rencontre dans les pays d’Afrique anciennement colonisés par la France. Et la spectacularisation de la perte du pouvoir par le président Bobo rappelle le printemps arabe.

En définitive, le film ne serait donc qu’une mise à nu des pouvoirs africains, l’objectif étant de les pousser vers la sortie. Les échanges avec le public permettront de comprendre pourquoi ce chef-d’œuvre à l’accent politique et contestataire n’ jamais été censuré, a été massivement regardé au Cameroun, alors même qu’il n’y a jamais eu de dédicace. C’est tout simplement parce que le réalisateur a choisi un genre purement comique à travers lequel on peut déguiser beaucoup de choses, dira Alain Cyr Pangop.

Quelques étudiants de Master en cinématographie de l’Institut des beaux-arts de l’Université de Dschang à Foumban ont pris part à cette conférence. Elle rentrait dans le cadre des activités du club bilingue de ladite université. Selon son président, Cédric Elongue, la prochaine aura lieu le 29 avril 2015 et portera sur «les industries culturelles au service du développement de l’Afrique».

Par Hindrich Assongo, West-Cameroon Regional News Agency – 27/04/2015
Source: https://www.journalducameroun.com/article.php?aid=20067